C'est ici le seul envoi en mission de disciples où il est précisé qu'il s'agit pour les missionnaires de se rendre dans les lieux où Jésus "devait lui-même aller". Et on voit mal pourquoi Luc aurait inventé cette précision. Les récits des missions prétendent en effet, y compris dans celui-ci, que des guérisons s'y seraient produites par l'intermédiaire des disciples, mais on voit mal dans ce cas quelle raison Jésus aurait eue de se rendre ensuite lui-même en personne sur les mêmes lieux, et d'ailleurs les évangiles ne le prétendent pas non plus. Nous avons donc, d'une part une sorte de récit officiel et massif parlant de véritables prodiges opérés par l'intermédiaire des disciples, mais d'autre part un tout petit détail qui ne cadre pas avec cette version affichée, et un "détail" qui n'a alors aucune explication possible, sinon qu'il est une trace de la vérité.
Pourtant, ce récit d'envoi en mission de soixante-dix ou soixante-douze disciples est très certainement une création de Luc ! Comme nous l'avons vu déjà il y a huit jours, ce nombre de soixante-dix ou soixante-douze fait référence au nombre total des nations autres qu'Israël, telles que recensées dans la Genèse, c'est donc une mission symboliquement en direction de toute la terre, par opposition à la mission des douze, où le nombre douze représentant les douze tribus composant Israël, la mission était donc à destination d'Israël seul. Par cette mission des soixante-dix ou soixante-douze, Luc a voulu dire que la portée du message de Jésus est universelle, mais elle n'a certainement jamais existé.
On peut alors trouver paradoxal que ce soit dans cette mission inventée que figure ce détail concernant la portée réelle de la mission des douze, qui elle a vraisemblablement existé... mais cela n'y change rien, du vivant de Jésus, la seule mission qu'ont pu avoir les disciples consistait simplement à préparer le terrain, à annoncer que "le royaume de Dieu s'est approché", ce que confirmeraient ensuite les guérisons qui se produiraient lors de la venue prochaine de leur maître. Les guérisons par leur intermédiaire à eux, oui, plus tard, après sa mort, ainsi que ce qu'ils ont appelé sa résurrection et la venue de l'esprit (quelles que soient les réalités de ce qu'ils ont appelé ainsi), à ce moment-là oui, des guérisons se produiront par leur intermédiaire, mais pas avant.
De fait, il est impossible que des guérisons "surnaturelles" aient pu se produire par l'intermédiaire de ces hommes qui restèrent prisonniers de leur conception du messie comme chef politico-militaire, et ce même encore après sa mort et sa résurrection... C'est seulement lors de ce qu'ils ont appelé la venue de l'Esprit qu'ils ont pu enfin accéder à ce dont leur rabbi avait témoigné pour eux, entrer dans cette même vie que lui, dans cette même relation intime à celui qu'il appelait le Père, son Père et leur Père et notre Père à toutes et tous.
Quant à la réalité d'une telle vie, certes il y a justement ces faits hors du commun qui en témoignent, de tout temps, même s'ils ne sont évidemment pas à prendre comme plus que cela, des témoignages d'une réalité plus profonde que celle des apparences seules, d'une réalité qui ponctuellement peut se manifester ainsi extérieurement de manière extraordinaire, mais qui surtout peut se manifester "seulement" intérieurement mais de manière tout aussi extraordinaire et là de façon continue. C'est cela qu'ils ont découvert et appelé la venue de l'Esprit, c'est cela que nous pouvons toutes et tous découvrir aussi, rien n'a changé de ce point de vue, l'Esprit a toujours été et sera toujours présent au monde, car l'un et l'autre sont comme les deux faces d'une seule et même réalité.
Agrandissement : Illustration 1
et après cela, le seigneur en a désigné soixante-dix autres
et il les a envoyés deux par deux devant sa face
en toute ville et tout lieu où il devait lui-même aller
et il leur disait
« la moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux
implorez donc le seigneur de la moisson
qu'il envoie des ouvrier dans sa moisson !
allez !
voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu de loups
ne portez ni bourse ni besace ni sandales
et ne faites des salamalecs avec personne sur le chemin !
et en quelque maison que vous entriez dites d'abord
"paix à cette maison !"
et s'il y a là un fils de la paix votre paix reposera sur lui
et sinon elle reviendra sur vous
et restez dans la même maison !
mangeant et buvant chez eux car l'ouvrier mérite son salaire
mais ne passez pas de maison en maison !
et en quelque ville où vous entriez
et où on vous reçoit
mangez ce qui vous est servi
et guérissez les infirmes chez elle et dites-leur
"le royaume de Dieu s'est approché de vous"
et en quelque ville où vous entriez
et où on ne vous reçoit pas
sortez sur ses places et dites
"même la poussière de votre ville collée sous nos pieds
nous la secouons chez vous mais sachez ceci
le royaume de Dieu s'est approché"
je vous dis que pour Sodome en ce jour-là
ce sera plus supportable que pour cette ville-là »
(Luc 10, 1-12)