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Billet de blog 3 juillet 2025

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Pourquoi, ou pour quoi ?

Le pouvoir de pardonner les péchés : être capable de le faire suppose vraisemblablement d'en avoir auparavant été soi-même bénéficiaire, ce qui est peut-être notre cas à tous, mais parfois sans que nous ne l'ayons su.

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La question que pose ici Jésus à ces scribes est peut-être assez surprenante. Il vient d'affirmer à un paralytique que ses péchés étaient pardonnés ; aussitôt, et tout-à-fait logiquement, lesdits scribes ne peuvent s'empêcher de réagir en pensée : "il blasphème !". C'est normal, c'est un point sur lequel tous sont d'accord, Dieu seul peut pardonner les péchés, étant donné qu'un péché consiste toujours en une erreur commise vis-à-vis de lui. Bien entendu, un péché peut aussi comporter une faute vis-à-vis du prochain (vol, mensonge, violence, meurtre...), et celle-ci nécessite au tout premier chef une réparation auprès de qui en a été lésé, avant même qu'il puisse être question de pardon du péché. Le péché, dans ces cas-là, c'est le fait que par l'offense faite au prochain, c'est Dieu aussi qui en a été offensé, et c'est cette offense-là, celle faite à Dieu, qu'évidemment lui seul peut pardonner...

On voit au passage pourquoi il est important, si possible, que nous pardonnions à qui nous a causé du tort, puisque sinon ce dernier ne pourra jamais en être quitte non plus, quoi qu'il en pense... Mais revenons à la question que pose alors Jésus à ces scribes qui, et c'est tout-à-fait normal, n'ont pu s'empêcher de penser qu'il blasphémait : "pour quoi" pensez-vous du mal dans vos cœurs ? "pour quoi", autrement dit dans quel but, quelles sont vos intentions, vers quelles conclusions vous orientez-vous ? Jésus ne conteste pas qu'ils aient eu des raisons de penser ainsi, mais les interroge plutôt sur "et après" ? et après, avez-vous l'intention de me dénoncer aux autorités, ou allez-vous ramasser tout de suite des pierres pour me lapider, puisque c'est ce que commande la torah en cas de blasphème, ou quoi d'autre ?

Ici, la plupart des traductions en français, sinon toutes, sont plus ou moins retorses, qui donnent : "pourquoi" pensez-vous du mal dans vos cœurs, ce que nous comprenons alors spontanément dans le sens de "pour quelle raison" pensez-vous cela, comme si Jésus ne savait pas qu'il était en train de choquer tout le monde par son affirmation. Traduction retorse, parce que "pourquoi" en français a les deux sens, à la fois "pour quelle raison" et "dans quel but", mais le mot grec lui est sans ambiguïté, c'est "afin que, pour que, etc.", et la question de Jésus est donc bien celle de savoir quelles sont les intentions des scribes : selon eux, c'est lui qui devrait se sentir sur la sellette, mais par sa question il leur coupe l'herbe sous les pieds, il les déstabilise en les mettant au pied du mur : allez-y, allez jusqu'au bout de vos pensées, je vous y mets au défi ! plus c'est gros, mieux ça passe...

Jusque là, pourtant, il n'avait pas prétendu pardonner les péchés de cet homme ! il n'avait pas dit "je" te pardonne tes péchés, mais il s'était simplement contenté de constater ce fait, que ses péchés étaient pardonnés. Bien entendu, être en mesure de savoir ce genre de choses n'est certainement pas donné au premier venu ! il y a bien là une indication d'un minimum de qualités spirituelles de celui qui peut faire une telle affirmation, mais en cela il n'allait pas jusqu'à se mettre à la place de Dieu ! les scribes avaient donc tort de penser qu'il blasphémait. La suite du texte, par contre, semble bien franchir ce pas, où Jésus aurait affirmé qu'il avait bel et bien le pouvoir de pardonner les péchés, affirmation qu'on retrouve aussi dans les versions de Marc (2, 10) et Luc (5, 24), Matthieu seul allant même jusqu'à étendre un tel pouvoir "aux hommes" (ce qui ne veut peut-être quand même pas dire à tous mais au moins à certains), et non pas à Jésus seul...

Voilà qui, cette fois, avait à raison de quoi choquer, non seulement les scribes, mais les foules aussi qui en ont été témoin : elles furent d'abord effrayées, avant d'accepter ensuite qu'il en soit ainsi et s'en réjouir. Ceci, cependant, ne change rien au fait que le pardon des péchés est dépendant au tout premier chef de ce que les personnes qui en ont éventuellement été les victimes acceptent ou non de pardonner. Qu'ensuite le pardon spécifique de la part de Dieu puisse être manifesté par des hommes, il me semble pour ma part qu'ils ne feront alors que cela, le manifester, rassurer celle ou celui qui en est demandeur, en témoignant de ce que, de toutes façons, Dieu, lui, ne tient jamais rancune de quoi que ce soit contre qui que ce soit, ce qui suppose quand même que, pour pouvoir en témoigner, ils aient auparavant été eux-mêmes bénéficiaires, d'un tel et même pardon. Si c'est là de leur part juste une simple pétition de principe, je doute qu'ils puissent transmettre autre chose que précisément de beaux principes, de belles idées, au lieu d'une réalité absolument hors de leur portée !

Illustration 1

et étant monté en barque il a fait la traversée
    et est venu dans sa propre ville
et voici qu'on lui présentait un paralytique
gisant sur un lit
    et ayant vu leur foi Jésus a dit au paralytique
« aie confiance fils ! tes péchés sont remis »
    et voici que certains des scribes ont dit en eux-mêmes
« celui-ci blasphème »
    et ayant su leurs pensées Jésus a dit
« pour quoi pensez-vous du mal dans vos cœurs ?
quel est en effet le plus facile
    dire "tes péchés sont remis" ?
    ou dire "lève-toi et marche" ?
mais pour que vous sachiez que le fils de l'homme
a pouvoir sur la terre de remettre les péchés... »
    il dit alors au paralytique
« ...lève-toi ! et prends ton lit ! et va dans ta maison ! »
    et s'étant levé il est allé dans sa maison
alors en le voyant les foules furent effrayées
et elles glorifièrent le Dieu
    qui a donné un tel pouvoir aux hommes

(Matthieu 9, 1-8)

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