Voici donc ce qu'on pourrait appeler le clou du spectacle du ministère de Jésus, l'action miraculeuse, surnaturelle, qui aura le plus frappé les foules, au point, nous a révélé l'évangéliste Jean, qu'en voyant ça elles étaient prêtes à l'emmener de force à Jérusalem pour le faire reconnaître comme le "messie", le roi d'Israël, que tous attendaient pour chasser les romains. Une insurrection ! un coup de force contre le grand sanhédrin, telle était l'intention de cette foule, ce qui aura deux conséquences principales : d'une part que ledit sanhédrin de Jérusalem, l'autorité religieuse suprême d'Israël, n'aura d'autre choix que d'éliminer celui qui, peut-être bien malgré lui mais quand même, met en danger tout le peuple, car eux savent qu'il est illusoire de penser pouvoir s'élever contre Rome.
D'autre part, Jésus aussi réalise que voilà à quoi aboutit son ministère, et notamment tous ces actes extra-ordinaires, qui ne se produisent que parce qu'il est "ému au entrailles" pour les gens, mais qui les infantilisent, qui les amènent à s'en remettre entièrement à lui comme un sauveur qui fera tout à leur place : les gens, effectivement, le prennent pour ce messie, chef religieux certainement, mais aussi chef politique et militaire, que lui réfute ; lui n'a pas une telle vocation, lui veut juste témoigner d'une relation intime qu'il a avec Dieu, tellement intime que c'est ainsi que se produisent les "signes", les "miracles", mais s'il veut en témoigner c'est pour que chacune et chacun cherche à entrer elle et lui aussi dans une même relation au même Dieu, pas pour qu'ils le prennent pour ce fameux messie, encore moins pour qu'ils le prennent par la suite pour Dieu lui-même.
Ce n'est pas du tout un chef, qu'il veut être, mais tout au plus un modèle, et encore, bien plutôt juste donner envie, initier, comme quand j'ai envie de faire se rencontrer deux de mes amis : ce n'est pas pour ensuite rester comme un obstacle entre eux deux, mais au contraire pour qu'ils développent à partir de là leur propre histoire d'amitié, à laquelle je n'aurai pas forcément toujours part ; c'est normal, ils peuvent se trouver des affinités auxquelles, quant à moi, je ne suis pas sensible, et je m'en réjouirai pour eux. Voilà tout ce qu'il voulait, lui, Jésus, que les gens entrent eux aussi comme lui dans une relation intime avec Dieu, mais il se rend compte alors que ces signes sont une impasse, un obstacle même, une erreur de sa part, il ne l'avait pas encore compris, il ne s'en méfiait pas, ou en tout cas pas assez, mais voilà ce que lui révèle cette histoire de multiplication des pains.
Contrairement à ce que beaucoup pensent — les incroyants bien sûr, mais aussi de nombreux croyants — les miracles, ça existe. Mais le problème qu'ils posent est exactement celui-là auquel s'est confronté Jésus : ils égarent. Peut-être pas tant les bénéficiaires, d'ailleurs, mais surtout les autres, les témoins directs en premier, et puis ensuite ceux qui en entendent parler, toutes ces foules, déjà du temps de Jésus mais aussi tout au long des siècles, qui vont mettre leurs espoirs en ce que eux aussi puissent faire partie des bénéficiaires, alors que des événements extraordinaires, comme leur nom l'indique, ne peuvent pas être autre chose que extraordinaires, donc rares. C'est comme quand on joue au loto et autres jeux de hasard, statistiquement parlant on n'a que très peu de chances d'être gagnants, mieux vaut utiliser son argent de nombreuses manières possibles plus judicieuses.
Cependant, contrairement aussi à ce qu'on entend dire — parfois ? souvent ? —, les miracles ne sont pas des violations des lois de la nature. Il est alors tout-à-fait possible que, sur certaines planètes de certains systèmes solaires dans certaines galaxies, l'aventure de la matière soit allée jusqu'au point où, ce qui chez nous, sur notre planète, est exceptionnel, sur ces planètes-là soit normal, la règle. Les miracles nous parlent alors d'un comportement de la nature qui, peut-être, pourrait un jour devenir aussi chez nous normal, ordinaire, usuel. Peut-être : le fait qu'ils se produisent parfois peut nous en laisser l'espérance. Mais peut-être pas : les conditions dans lesquelles sont placés et notre planète, et notre système solaire, et notre galaxie peuvent éventuellement ne permettre que de telles manifestations ponctuelles. Et puis, dans tous les cas, ne faudrait-il pas encore qu'au moins on le veuille bien, qu'on l'accepte ?
Agrandissement : Illustration 1
et ayant entendu Jésus se retira de là en barque
vers un lieu désert à part
et l'ayant entendu les foules le suivirent à pied
depuis les villes
et étant sorti il vit une foule nombreuse
et il fut ému aux entrailles pour eux
et il a guéri leurs infirmes
puis le soir étant venu
les disciples s'approchèrent de lui en disant
« le lieu est désert et l'heure est déjà passée
renvoie donc les foules !
pour qu'ils s'en aillent dans les villages
s'acheter de la nourriture »
mais Jésus leur a dit
« ils n'ont pas besoin de s'en aller
vous ! donnez-leur à manger ! »
alors ils lui disent :
« nous n'avons rien ici
si ce n'est cinq pains et deux poissons »
et il leur a dit
« apportez-les moi ici »
et ayant ordonné aux foules de s'installer sur l'herbe
et ayant pris les cinq pains et les deux poissons
et ayant levé les yeux au ciel
il a béni
et ayant rompu
il a donné les pains aux disciples
et les disciples aux foules
et tous ont mangé et été rassasiés
et on ramassa le surplus des parts
— douze couffins pleins —
or ceux qui ont mangé étaient environ cinq mille hommes
outre les femmes et les enfants
(Matthieu 14, 13-21)