Plus important que de "fouler aux pieds serpents et scorpions", plus important que d'avoir le pouvoir "sur toute la puissance de l'ennemi (le satan)", plus important que d'avoir la maîtrise sur les esprits : avoir son nom inscrit dans les cieux. Voilà donc ce que Jésus est censé avoir dit aux soixante-dix quand ils sont revenus de leur mission. Que cette mission n'ait pas existé n'implique pas pour autant que cette conclusion n'ait aucun sens, qu'on doive la sauter, loin de là. Au contraire, ne serait-ce que parce que, spontanément, on aurait sans doute tendance à trouver que cette histoire d'avoir son nom inscrit dans les cieux n'aurait en fait que peu d'intérêt par rapport au fait de pouvoir "exorciser les esprits" (c'est-à-dire concrètement guérir les malades, de quelque maladie que ce soit, psychique comme physique, car toutes étaient considérées comme provoquées par des "esprits").
Avoir mon nom inscrit dans les cieux, cela signifie que la déité pense de manière toute personnelle à moi, qu'elle m'accorde toute son attention, que j'ai à ses yeux une importance sans fond, comme si le destin de tout l'univers dépendait de moi, était entre mes mains. Et c'est le cas ! Mais il ne faut pas croire que ceci soit dit ici aux soixante-dix comme si c'était la conséquence de ce pouvoir qu'ils ont pu mettre en œuvre sur les esprits ; ce n'est pas comme si il leur était dit : grâce à votre action vous avez mérité le droit d'avoir vos noms inscrits dans les cieux, comme sur une plaque commémorative de leurs hauts faits passés. Non, en vérité c'est l'inverse, c'est parce que leurs noms étaient inscrits dans les cieux de toute éternité que ces actes extraordinaires ont pu se produire par leur intermédiaire. C'est cela qui est important : qu'ils ne se montent pas le bourrichon ! tout ceci n'est pas venu d'eux mais des "cieux", de la déité, de la Source, de la Présence, de l'Être en soi...
Mais alors, est-ce à dire que si ces actes se sont produits par leur intermédiaire, c'est parce que, eux, leurs noms étaient inscrits, ils avaient été prédestinés à ça, Dieu les avait choisis par avance, Dieu les avait préférés, ils étaient ses chouchous, et que nous tous, celles et ceux qui n'avons jamais soumis le moindre "esprit", jamais guéri le moindre malade par l'opération du Saint Esprit, c'est parce que nous ne faisons pas partie de ces élus, que c'est comme ça, c'est là l'arbitraire divin auquel il n'y a rien à comprendre et surtout rien à réclamer, Dieu a bien le droit de faire ce qu'il veut, quand même, non ? Eh bien : non, certainement pas, nos noms à toutes et tous sont bien inscrits dans les cieux de toute éternité et pour toujours. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons toutes et tous destinés à ce que de tels actes se produisent par notre intermédiaire. C'est justement ce que dit ce texte.
Le plus important, ce ne sont pas les miracles. Le plus important, c'est de connaître, ou plutôt re-connaître, cette relation intime que nous avons avec le tout de ce qui est, qu'on lui donne un nom ou pas. L'inconvénient de lui donner un nom est qu'on tend par là à se l'approprier, ou du moins à se l'imaginer, et donc à s'en faire une image à notre image à nous, à notre image et ressemblance, ce qui ne peut évidemment qu'être erroné. C'est nous qui sommes à son image, à sa ressemblance, et non l'inverse. Ce qui n'empêche pas que nous puissions avoir une influence, une action même, sur elle, la déité, l'essence, la présence, universelle, mais certainement pas sur la base d'une sorte d'arbitraire égocentrique de notre part, il faut nécessairement que ce soit par des motivations altruistes. C'est en fait tout simplement chaque fois que nous nous donnons que cela se produit. Par chacun de nos actes d'amour, c'est l'univers entier qui est changé.
Agrandissement : Illustration 1
puis les soixante-dix revinrent avec joie en disant
« seigneur ! même les démons nous sont soumis en ton nom »
et il leur a dit
« je regardais le satan tombé du ciel comme un éclair
voici que je vous ai donné le pouvoir
de fouler aux pieds serpents et scorpions
et sur toute la puissance de l'ennemi
et rien ne vous fera de tort
pourtant ne vous réjouissez pas
de ce que les esprits vous soient soumis !
mais réjouissez-vous
de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux ! »
à ce moment même il exulta dans l'Esprit saint et dit
« père ! seigneur du ciel et de la terre ! je te rends grâce
que tu aies caché cela à des sages et des intelligents
et l'aies révélé à des nourrissons
oui père ! que telle ait été ta bienveillance à tes yeux
— tout m'a été donné par mon père
et personne ne connaît qui est le fils sinon le père
et qui est le père sinon le fils
et à qui le fils souhaite le révéler — »
puis s'étant tourné vers ses disciples à part il a dit
« heureux les yeux qui voient ce que vous voyez !
car je vous dis que de nombreux prophètes et rois
ont souhaité regarder ce que vous voyez et n'ont pas regardé
et entendre ce que vous entendez et n'ont pas entendu »
(Luc 10, 17-24)