Des gardes ont été envoyés par le sanhédrin avec pour mission d'arrêter Jésus, lequel était lancé dans l'un de ces discours de haut vol que lui prête l'évangile de Jean. On peut se demander ce qu'une foule de gens ordinaires, de petites gens en fait, pouvait comprendre à cette théologie, du moins telle qu'elle nous est rapportée, mais quoi qu'il en soit...
Cette foule, donc, se divise, on a envie de dire : "une fois de plus", c'est en effet la conclusion qui vient à plusieurs reprises dans cet évangile, les uns sont séduits, tandis que d'autres élèvent des objections ; quant aux gardes, sans vouloir se prononcer sur le fond, surtout vis-à-vis de leurs employeurs, ils mettent en avant au moins le fait qu'ils n'ont pas su que penser des mots prononcés, ils en ont pour le moins été perturbés, et reviennent donc bredouilles de n'avoir pas osé l'arrêter au milieu d'une foule aussi divisée elle-même à son sujet. Ceci, évidemment, ne plaît pas aux membres du sanhédrin, et particulièrement parmi eux à ceux qui font partie des pharisiens, ce qui nous vaut ce témoignage de l'estime qu'ils vouent à cette foule dont ils sont pourtant censés avoir le souci : "cette foule qui ne connaît pas la torah, ce sont des maudits" !
On n'est pas sûr de ce que signifie exactement le mot "pharisien", mais une des étymologie les plus probables est "séparé", les pharisiens seraient des personnes qui voudraient se séparer : du monde profane, et on voit bien toutes ces prescriptions concernant le pur et l'impur qu'ils se font un devoir de respecter, mais en même temps aussi et évidemment cela implique qu'ils doivent se séparer pareillement de toutes celles et tous ceux qui n'adhèrent pas à leur point de vue, qui n'entrent pas dans la même démarche qu'eux, d'où ce qualificatif de "maudits", étant entendu que le mot "torah", pour les pharisiens, signifiait autant la torah dite "écrite" (les prescriptions contenues dans les livres communément admis) que la torah dite "orale", à savoir toutes ces règles qui sont censées s'en déduire, mais que déjà les sadducéens notamment ne reconnaissaient pas comme normatives.
Et pourtant, ce sont aussi des pharisiens qui diront, comme Jésus et à la même époque, qu'en fait l'essentiel réside en l'amour de Dieu et de ses proches, comme nous l'avons vu il n'y a pas longtemps (tu aimeras YHWH de tout ton être et, intrinsèquement lié à cela, tu aimeras ton proche...) ! Ce ne sont donc pas n'importe quels pharisiens qui s'expriment là, à preuve d'ailleurs l'intervention de Nicodème, qui en faisait partie.
On en revient toujours là : les rites, les pratiques religieuses, les règles innombrables et minutieuses, tout ceci est parfaitement secondaire, et même souvent source de perversion, de prétextes pour, soi-disant se consacrer à Dieu, mais en réalité se donner bonne conscience et éviter ainsi d'avoir à se préoccuper des autres. Ceci dit, aimer son proche comme soi-même, est-il si simple de savoir en quoi cela consiste ? Nous avons bien ce qu'on appelle la règle d'or, ne pas faire à l'autre ce qu'on n'aimerait pas qu'on nous fasse, et même lui faire ce qu'on aimerait qu'on nous fasse. Et pour nous aider à cela, il se trouve que, comme par hasard, une des propriétés de notre conscience est qu'elle nous permet de nous mettre justement à la place de l'autre, de nous représenter ce que ça doit être pour lui de vivre ce qu'il vit, en bref ce qu'on peut appeler la com-passion, ressentir avec lui ce qu'il ressent.
Mais attention quand même, prudence ! D'une part, la compassion n'est pas un instrument "scientifique", nous pouvons nous tromper, parce que ce qui nous plaît ou déplaît à nous n'est pas nécessairement ce qui plaît ou déplaît à l'autre ! Et puis d'autre part, ce qui nous plaît, et plairait aussi à l'autre, n'est pas forcément un bien véritable (ou l'inverse, ce qui nous déplaît, et déplairait à l'autre, n'est pas forcément un mal véritable), comme par exemple dans le cas des bonbons qu'un enfant pourrait nous demander à tire-larigot, ou la came du junkie, etc. Attention donc à ne pas obtenir l'inverse du résultat escompté ; comme on dit parfois, l'enfer peut être pavé de bonnes intentions...
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alors parmi la foule
ceux qui avaient entendu ses paroles disaient
« vraiment celui-ci est le prophète »
d'autres disaient
« celui-ci est le messie »
mais il y en a qui disaient
« mais est-ce de Galilée que le messie viendrait ?
est-ce que l'Écrit ne dit pas que
c'est de la semence de David
et de Bethléem le village où était David
que vient le messie ? »
alors une scission se produisit dans la foule à son sujet
et certains d'entre eux voulaient l'arrêter
mais personne n'a jeté les mains sur lui
alors les gardes revinrent
vers les chefs des prêtres et les pharisiens
qui leur dirent
« pourquoi ne l'avez-vous pas amené ? »
les gardes répondirent
« jamais homme n'a parlé ainsi ! »
et les pharisiens leur ont répondu
« n'avez-vous pas vous aussi été trompés ?
y a-t-il un seul parmi les notables qui ait cru en lui
ou parmi les pharisiens ?
mais cette foule qui ne connaît pas la torah
ce sont des maudits »
Nicodème leur dit
celui qui était venu vers lui précédemment
et qui était l'un d'entre eux
« notre torah juge-t-elle un homme
sans l'avoir écouté d'abord et connaître ce qu'il fait ? »
ils répondirent et lui dirent
« est-ce que toi aussi tu serais de Galilée ?
scrute et vois
qu'il n'y a pas de prophète qui surgisse de Galilée »
et ils s'en allèrent chacun dans sa maison
(Jean 7, 40-53)