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Billet de blog 5 novembre 2014

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Réjouissez-vous !

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Billet original : Réjouissez-vous !

Ils s'approchaient de lui, tous les taxateurs et les pécheurs pour l'entendre. Les pharisiens aussi bien que les scribes murmuraient en disant : « Celui-là accueille des pécheurs et mange avec eux. »  Il leur dit cette parabole : 

« Quel homme parmi vous, ayant cent brebis, s'il a perdu une seule d'entre elles, ne quitte les quatre-vingt-dix-neuf dans le désert, pour aller après la perdue jusqu'à ce qu'il la trouve ? Quand il a trouvé, il la pose, joyeux, sur ses épaules. Il vient au logis, il convoque les amis et les voisins et leur dit : "Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai trouvé ma brebis, la perdue !"  Je vous dis : Ainsi il y aura joie dans le ciel sur un seul pécheur qui se convertit, plus que sur quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion ! 

« Ou quelle femme, ayant dix drachmes, si elle a perdu une drachme, n'allume une lampe et balaie la maison, et cherche avec soin jusqu'à ce qu'elle trouve ? Quand elle a trouvé, elle convoque les amies et voisines. Elle dit : "Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue !"  Ainsi, je vous dis, il y a joie en face des anges de Dieu, sur un seul pécheur qui se convertit ! »

Luc 15, 1-10

Nous arrivons sur une des plus belles pages de Luc, de celles qui lui font mériter le qualificatif d'évangéliste de la miséricorde. Le Père que nous donne à voir Luc lui est vraiment spécifique. C'est chez Luc seul que l'amour du Père pour les hommes apparaît comme étant absolument sans aucune condition. C'est chez Luc que les anges annoncent aux bergers "paix aux hommes, les bien-aimés de Dieu." C'est chez Luc aussi que Jésus dit sur la croix "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font." Les deux paraboles que nous avons aujourd'hui, avec celle qui suit (dite "du fils prodigue", que nous ne verrons malheureusement pas), sont d'ailleurs souvent appelées les paraboles de la miséricorde. Dans celle du fils prodigue, le père attend inlassablement le retour de son cadet : il l'a laissé libre, mais il attendra toujours, jusqu'à ce qu'il revienne, et quand il revient, il l'accueille tel qu'il est, sans aucune reproche. Ici, tant dans la parabole de la brebis, que dans celle de la drachme, perdues, ce sont l'homme et la femme qui se mettent en recherche, jusqu'à ce qu'ils trouvent ! Même idée, Dieu ne se résoudra jamais à ce qu'aucun de nous reste loin de lui.

De ces trois paraboles, seule la première se retrouve aussi dans un autre évangile, chez Matthieu (18, 12-14) en l'occurrence. On peut noter au moins deux petites différences entre les deux versions. Chez Matthieu, l'homme part chercher la brebis égarée, et, "s'il arrive qu'il la trouve", il se réjouit... Luc a changé ce "s'il arrive qu'il la trouve" en "jusqu'à ce qu'il la trouve" ! ce ne sont que deux ou trois mots que Luc a modifiés, mais qui changent tout l'état d'esprit du berger. Chez Matthieu, il est certes ennuyé par la perte d'une brebis, il agit donc en conséquence, mais cela ne l'empêchera pas de dormir s'il échoue. Chez Luc, le berger agit comme si c'était sa propre vie qu'on lui avait enlevée, il n'aura plus de cesse que de l'avoir retrouvée. Seconde différence : chez Matthieu l'homme se réjouit seul, pour lui-même, alors que chez Luc il tient à faire partager sa joie à ses proches. Ce n'est pas ici seulement une question de degré de réjouissance, somme toute déjà assez logique du fait de l'importance que l'un et l'autre accordaient à la brebis perdue. Ce sont aussi deux conceptions de la pastorale chrétienne qui s'expriment. Chez Matthieu, l'homme représente un responsable de communauté qui se soucie d'ouailles qui s'éloignent, et qui considère essentiellement comme un succès personnel de réussir à en faire revenir l'une ou l'autre. C'est que la communauté matthéenne considère que la bonne nouvelle ne s'adresse qu'à certains. La communauté lucanienne, elle, vise toute l'humanité, et Luc envisage le retour de la brebis comme une joie concernant tout le peuple de Dieu.

Outre cette parabole de la brebis perdue, Luc raconte alors celle de la drachme, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la précédente, si ce n'est que cette fois-ci le personnage principal est une femme et non un homme. Ce n'est pas le seul cas, dans les évangiles, où une parabole se décline en deux versions, une masculine et une féminine. Luc, qui accorde une place importante aux femmes par rapport aux autres évangélistes, a reproduit ici ce principe, mais on trouve donc d'autres exemples partagés par les trois synoptiques. Il est donc vraisemblable que cette façon de faire provient de Jésus lui-même, et que ce sont plutôt Marc et Matthieu qui n'ont pas jugé utile de rapporter systématiquement deux paraboles similaires, quand Luc s'est efforcé au contraire. Ceci dénote l'attention particulière qu'avait Jésus lui-même à l'égard des femmes, attention respectée par Luc et négligée par les autres. On notera que ici, notamment, cette attention va loin, puisqu'elle ose identifier Dieu à une femme ! Cette femme qui recherche sa drachme perdue représente bien, comme l'homme qui recherche sa brebis perdue, celui que Jésus a appelé le 'Père', et qui pourrait alors aussi bien s'appeler la 'Mère'... 

Cependant, il est possible que cette audace-là, ce soit Luc qui l'ait eue. Il y a en effet une légère différence entre les deux paraboles, dans leur conclusion. Dans la brebis perdue, il est question de plus de joie pour un seul pécheur qui se convertit que pour quatre vingt dix neuf justes. Dans la drachme perdue, cette comparaison n'est pas reprise. Ceci ressemble bien au style de Luc, avec son incorrigible propension à la consensualité tous azimuths, et pourrait alors constituer un bon exemple de ce que le travail d'interprétation et de compréhension du message de Jésus par les premiers chrétiens (et partant par les suivants aussi) n'en a pas forcément systématiquement altéré l'esprit. Des concepts explorés par Jésus ont pu être poussés plus loin dans leur logique et cohérence interne que lui avait pu le faire. Un autre exemple, plus évident, en est l'ouverture de l'annonce de la bonne nouvelle aux nations. Quand on lit les évangiles, il est clair que Jésus avait cantonné l'essentiel de son action aux seuls juifs. L'audace d'un Paul, à s'adresser aux païens, sans exiger d'eux qu'ils se convertissent au judaïsme pour embrasser le christianisme, est une extrapolation dont il a pris seul la responsabilité, selon sa conscience. Ce n'est alors sans doute pas un hasard si c'est un de ses héritiers, Luc, qui a osé pour sa part proposer une image de Dieu en femme. Maintenant, certains ont aussi le droit d'estimer que l'un comme l'autre ont, ce faisant, dénaturé et perverti le message de Jésus...

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