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Billet de blog 6 septembre 2025

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Histoires de pouvoirs

Il est tentant de placer des personnes exceptionnelles dans une sorte de panthéon, ce qui est une manière de les séparer de notre humanité commune, pour ne pas être obligés de nous comparer à elles et de nous en sentir rabaissés.

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"le fils de l'homme" : que n'a-t-il pas été dit au sujet de cette expression, qu'on retrouve souvent dans les paroles attribuées à Jésus ? C'est que, faute de pouvoir s'appuyer sur des déclarations explicites de sa part pour soutenir ce qu'on a fait de lui pas la suite — LE fils de Dieu et lui-même Dieu —, on était bien obligé de se rabattre sur ce mot, le mieux attesté par lequel il se désignait lui-même, fils d'homme, en oubliant que l'expression "un fils d'homme" signifie simplement en araméen un "humain", un "être humain", d'une part, et d'autre part que "le fils de l'homme" est une périphrase pour se désigner soi-même, une autre façon de dire "je"... Mais évidemment, quand on n'est que des hellénistes, ou pire des latinistes, distingués, on ignore complètement ces spécificités sémitiques, ce qui permet d'imaginer les explications les plus fantaisistes qui soient.

C'est ainsi qu'en se basant sur la prophétie de Daniel prédisant la venue future de "comme un fils d'homme" après les règnes de plusieurs bêtes, s'est développée l'identification de Jésus avec ce "comme un fils d'homme" ; cela tombait effectivement très bien : puisqu'on voulait justement asserter l'idée que Jésus n'était pas seulement un homme mais aussi Dieu, le "comme" de l'expression était un très bon appui pour cette supposée divinité. Seulement voilà, les bêtes dont il est question dans la prophétie symbolisent, elles, non pas des personnes individuelles précises, mais les empires successifs qui ont dominé toute la région, en sorte que la logique veut que le "comme un fils d'homme" désigne aussi plutôt une nation, autrement dit c'était Israël qui était ainsi personnifié en tant que culture incarnant les qualités humaines par rapport aux empires perse, grec, romain, incarnant eux la bestialité...

Bref, le plus vraisemblable est qu'il n'y avait pas de message crypté dans l'utilisation par Jésus de cette expression de fils de l'homme ! la plupart du temps c'était sans doute juste une façon de se désigner lui-même, sous une forme certainement plus appuyée que notre simple "je" à nous, un peu équivalente à un "moi je" plus ou moins solennel, d'autant qu'en hébreu, comme en grec et en latin d'ailleurs, le pronom personnel sujet d'un verbe est souvent omis, la forme verbale suffisant à signifier implicitement si c'est "je" ou "tu" etc. Mais dans certains cas, comme ici, il n'est même pas certain qu'il parlait de lui : en disant que "le fils de l'homme est seigneur du shabbat" il est très probable qu'il parlait de l'homme, de l'être humain en général : l'humain est seigneur du shabbat, comme le laisse comprendre plus explicitement Marc (2, 27-28) dans sa version parallèle du même passage : "le shabbat c'est pour l'humain qu'il a été fait, et non l'humain pour le shabbat, en sorte qu'il est seigneur même du shabbat le fils de l'homme".

En effet, dans cette version de Marc, la conséquence logique de ce que le shabbat ait été fait pour l'être humain est naturellement que c'est cet être humain qui commande — est seigneur sur — le shabbat, et non pas Jésus seul : il n'y aurait là aucun sens à réduire la portée de la seigneurie sur le shabbat seulement à celui qui est en train de prononcer le principe général de la raison d'être de cette institution. On pourrait alors certainement se poser la question de pourquoi ni Luc ni Matthieu n'ont cette justification que seul Marc nous a transmise, mais quelle qu'en soit la raison, on peut être certain que ce n'est pas Marc qui l'a inventée, puisque le mouvement général de la pensée chrétienne à partir de la résurrection a été de porter de plus en plus Jésus au pinacle, d'en faire un plus qu'humain, et non l'inverse ; ce seraient donc plutôt Matthieu et Luc qui auraient voulu lui réserver une prérogative exclusive, et non Marc qui l'en aurait dépossédé pour l'étendre à tout humain.

Une autre fameuse occasion où en disant "le fils de l'homme" Jésus voulait sans doute désigner n'importe quel humain est celle de la guérison d'un paralytique (Matthieu 9, 1-8 ; Marc 2, 3-12 ; Luc 5, 18-26). Cette guérison s'est produite pour que les pharisiens sachent "que le fils de l'homme a pouvoir sur la terre de remettre les péchés". La guérison, certes, c'est par Jésus qu'elle se produit dans cet épisode, mais qui est censé avoir ce pouvoir de remettre les péchés ? Jésus seul, ou tout être humain ? Eh bien ! sur cet épisode-là, c'est Matthieu seul qui conclut ainsi : "les foules glorifient le Dieu qui donne un tel pouvoir aux hommes" : le pouvoir de pardonner les péchés donné aux hommes, et non pas à Jésus seul ! On voit donc que, non seulement cette expression de "fils de l'homme" ne peut pas servir à justifier de considérer Jésus comme étant par nature différent de tous les êtres humains, mais que c'est même plutôt l'inverse, qu'en nombre d'occasions il est bien possible qu'il ait voulu par là inclure tout être humain dans ce qu'il affirmait, alors qu'on aurait, à tort, tendance à s'imaginer que cela ne le concernerait que lui seul...

Illustration 1

    et il est arrivé que lors d'un shabbat
    il traversait des emblavures
et ses disciples cueillaient et mangeaient les épis
en les frottant dans les mains
    mais certains des pharisiens ont dit
« pourquoi faites-vous ce qui n'est pas permis le shabbat ? »
    et Jésus leur a répondu en disant
« vous n'avez même pas lu ceci que David a fait
    quand il fut affamé
    lui et ceux qui étaient avec lui
comment il est entré dans la maison de Dieu
    et il a pris les pains d'offrande
    et il a mangé et donné à ceux avec lui
ce qu'il n'est pas permis de manger
sinon seulement aux prêtres »
    et il leur disait
« le fils de l'homme est seigneur du shabbat »

(Luc 6, 1-5)

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