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Billet de blog 7 mai 2014

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Éveil (3)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quelques temps plus tard, je rencontrai dans la rue des gens qui se tenaient immobiles, en cercle, en silence. Il se dégageait d'eux aussi un sentiment de paix, sans doute différent, mais impressionnant quand même. Ils faisaient partie d'une communauté s'efforçant de vivre selon les principes de la non-violence. Des gens – des familles et des célibataires – vivant du travail de leurs mains, mettant leurs ressources en commun, travaillant ensemble, priant ensemble, et menant aussi, parfois, comme ce jour-là, des actions d'interpellation de l'opinion publique sur des orientations contestables de notre société, telles l'esprit de consommation sans souci des conséquences, le rejet de l'étranger, et d'une manière générale tout ce qui nous déshumanise et dérègle notre planète, sur la voie que nous ne voyons que trop bien maintenant. Je fus séduit par ce qu'ils vivaient, je trouvai que cette vie pouvait à la fois me convenir et lui donner un sens, et je me joignis à eux.

Et ce fut à nouveau une période de trois ans. Heureuse. J'appris à travailler la terre, sans machines, en respectant son rythme, à faire pousser notre nourriture, une nourriture saine, savoureuse, pleine d'énergies. Toutes les heures, nous nous arrêtions un moment, pour nous rappeler que nous ne sommes pas que ce que nous faisons. Le matin, nous priions ensemble, face au soleil levant, et le soir, à nouveau ensemble, en un grand cercle autour du feu, pour remercier de tout ce que nous recevons. En hiver, nous allions tous abattre et débiter les arbres qui serviraient à nous chauffer deux ans plus tard. Puis, lorsque le printemps revenait, chacun reprenait son poste, qui au potager, qui à la ferme... Nous avions un boulanger, qui faisait notre pain au levain naturel, avec notre farine, moulue à la meule de pierre, et cuit dans un four traditionnel, au feu de bois. Et des pizzas, et des brioches... Nous avions aussi un potier, un tailleur de pierres, un menuisier. Ce fut une belle parenthèse au jardin d'Eden, au paradis, au pays des temps immémoriaux.

Mais dans ce lieu merveilleux et remarquable à tous points de vue, une seule chose me manqua : je n'y trouvai pas mon Ève. Il y en avait, pourtant, du monde qui passait. Et parmi celles-ci, des qui restaient, pour partager notre vie, qui quelques mois, qui pour prendre, comme j'en avais pour ma part l'intention, le chemin des vœux qui nous lient à vie, la communauté et nous. Mais non, pas une seule des jeunes filles ni des jeunes femmes dont je faisais la connaissance ne semblait m'être destinée. Il y eut bien des échanges profonds, avec certaines, avec d'autres des moments d'émotion intense, mais aucune avec laquelle je pourrais m'engager dans une histoire commune à deux, destinée à défier le temps. Tantôt c'était elle qui n'était pas sur la même longueur d'ondes (telle celle qui me remercia d'avoir éveillé en elle le désir d'un enfant, mais pas pour le faire avec moi, ajouta-t-elle aussitôt, de peur que je me fasse des idées...), tantôt c'était moi (celles qui cherchaient un substitut paternel, celles qui ne se laissaient mener que par leurs impulsions, et celles au contraire qui voulaient tout maîtriser dans leur vie). Je ne souhaitais être l'esclave d'aucun arbitraire, ni incontrôlé, ni surcontrôlé, et pas plus jouer au psy de substitution qu'au cobaye de transfert sauvage.

L'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à son épouse : c'est ce que je fis alors, je quittai la communauté qui était devenue ma nouvelle famille, et m'attachai à celle qui m'a supporté tout ce temps depuis. Ce fut une nouvelle période, de vingt sept ans cette fois, jusqu'à ce jour. Vingt sept ans de vie de couple ordinaire, puis de famille ordinaire, dans une commune ordinaire, ...et une paroisse ordinaire. Tant que j'étais dans la communauté, je pouvais encore suivre mes voies plus ou moins originales en matière de spiritualité, elle les acceptait toutes, pourvu qu'il ne s'agisse ni de démarche sectaire ni de prosélytisme. Hors de la communauté, j'ai trouvé que le lieu le plus évident pour poursuivre mon chemin dans ce domaine, celui qui s'est alors proposé, a été l'église du village.

Honnêtement, cette période a plutôt ressemblé à un long hiver, mais c'est au cours de l'hiver que se produisent les lentes germinations et maturations qui produisent le printemps. Oh ! je me suis investi dans la communauté catholique, j'ai pris mes responsabilités : catéchisme, animation liturgique, chorale, préparations au baptême, partages d'évangile. Bientôt ce sera le moment d'aborder encore l'accueil, voire la célébration, des funérailles. Mais tout cela sans jamais pouvoir clairement parler de ce qui me fait vraiment vivre, de cette présence qui m'habite depuis maintenant trente trois ans. Aujourd'hui, nos enfants ont commencé de prendre leur envol, et le temps me semble venu d'une autre étape.

Source : dieu qui se cache (1) : Éveil

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