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Billet de blog 8 mai 2014

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Fils de qui ?

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Billet original : Fils de qui ?

Les Juifs donc murmuraient à son sujet parce qu'il avait dit : « Je suis le pain descendu du ciel. »  Ils disaient : « Celui-là, n'est-ce pas Jésus, le fils de Joseph ? Nous connaissons, nous, son père et sa mère ! Comment dit-il maintenant : Du ciel, je suis descendu ? » 

Jésus répond et leur dit : « Ne murmurez pas entre vous ! Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a donné mission ne le tire. Et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous enseignés par Dieu. Tout homme qui a entendu ce qui vient du Père, et apprend, vient à moi. Non que personne ait vu le Père, sinon celui qui est auprès de Dieu : lui, il a vu le Père. Amen, amen, je vous dis : celui qui croit a vie éternelle. 

« Moi, je suis le pain de la vie. Vos pères ont mangé dans le désert la manne, et ils sont morts. Tel est le pain descendant du ciel : qui en mange ne meurt pas ! Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra pour l'éternité. Le pain que moi je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde. »

Jean 6, 41-51

Jean me semble à la fois celui qui a été le plus proche de comprendre ce dont Jésus parlait, et à la fois celui qui place Jésus dans l'image la plus éloignées de qui il a été réellement. Il est possible que Jésus se soit demandé, pendant la première période de son ministère, s'il n'était pas le Messie, avant d'opter résolument pour la négative. Mais Fils de Dieu, ça, il ne l'a certainement jamais pensé, ni de près, ni de loin. Sur ce point, donc, Jean a construit un Jésus qui est le fruit de ses réflexions personnelles — plus exactement le fruit de la réflexion de la communauté johannique, puisque 'Jean' n'est qu'un prête-nom. Que cette élaboration johannique – proche de celle menée par Paul de son côté, et avec laquelle elle a par la suite fusionné – corresponde ou non à une réalité théologique, il n'en reste pas moins que sa présence massive dans l'évangile de Jean a tendance à masquer, et rendre difficilement perceptible, ce qu'il y a à côté de certainement juste, ce qui correspond à un enseignement que Jésus a réellement pu donner.

Jésus vivait une relation 'tangible' avec Dieu, une relation qui était toute sa vie, une relation intérieure, intime, raison pour laquelle il a proposé de nommer ce Dieu 'papa', pour dire que, même si ce Dieu était le même que le YHWH qu'il avait toujours révéré, il convenait pourtant d'opérer une révolution pour y accéder. Il fallait oublier le Dieu très-haut, très lointain, terrible souvent, toujours majestueux. Alors oui, découvrir le Dieu de Jésus nécessite une véritable conversion, ça ne se fait pas tout seul. De son vivant, aucun de ses disciples n'a compris ce dont il parlait, même si c'est donc sans doute Jean qui en a été le plus proche. Mais pour tous les chrétiens par la suite, et pour nous encore aujourd'hui, ce n'est pas non plus du tout évident. Car peu nombreux sont ceux qui ont accédé à la même conscience, au même 'papa', que Jésus, et puis, y accéder ne signifie pas non plus qu'on saura le transmettre : c'est aussi difficile pour nous que pour Jésus. Parce qu'il n'y a pas d'automatisme, c'est une expérience à faire par chacun, chacun pas son propre chemin.

C'est ce dont nous parle en partie assez clairement le texte d'aujourd'hui, si on sait le lire. "Il est écrit : ils seront tous enseignés par Dieu", "Tout homme qui a entendu ce qui vient du Père" : ces expressions nous parlent bien de cette relation personnelle que nous pouvons, tous et chacun(e), avoir avec le Père dont parlait Jésus. Jésus, ici, ne vient pas s'interposer entre le Père et nous. La révélation nous a été transmise par lui, c'est lui qui nous a parlé de Dieu et de cette relation différente possible, mais le but est justement que nous entrions dans cette relation personnellement et directement, et, lorsque nous y sommes parvenus, à la limite, Jésus peut s'effacer, s'en aller, il a fini sa mission. En réalité, il restera toujours dans notre cœur comme celui qui nous a montré le chemin. Mais ce rôle est très différent de celui professé par les Églises, qui veulent bien admettre que nous soyons nous aussi, comme Jésus, des fils et filles de Dieu, à condition de maintenir une distinction essentielle à leurs yeux entre lui et nous : lui est le seul vrai Fils unique de Dieu, quand nous ne serions que des fils et filles par adoption... Ceci, je crois, est contraire à ce que pensait Jésus lui-même, lui qui n'est, pour moi, 'que' mon frère aîné.

Nous sommes donc tous appelés à découvrir le Père, comme Jésus, dans une expérience relationnelle personnelle et directe, 'tangible', avec lui. Mais, justement parce qu'il s'agit de relation personnelle, il n'y a pas de 'truc' infaillible et universel pour y arriver ! Et, plus encore, si nous pouvons préparer le terrain, le dégager de tout ce qui l'encombre – dont, en particulier, toutes nos vieilles images idolâtres : le barbu, le juge, les éclairs et le tonnerre, etc... –, il reste que, même lorsque nous y serons prêts, la toute dernière étape n'est pas de notre ressort. Ce n'est pas nous qui ouvrirons la porte, c'est lui, le Père. Oh ! je suis bien certain qu'il ne s'amuse alors en aucune façon à nous faire lanterner, ni par sadisme, ni comme pour un test ou une épreuve. Mais c'est ainsi que nous vivons cette dernière étape, et il ne peut pas en être autrement. C'est ce dont parle, encore, cette troisième phrase de notre texte du jour : "personne n'a vu le Père, sinon celui qui est auprès de Dieu".

Dans la théologie johannique, cette phrase n'est censée parler que de Jésus, le seul a être venu "d'auprès de Dieu", etc..., le Fils avec un grand 'F' majuscule. Mais en réalité elle dit tellement bien notre condition commune que je vois mal qu'elle ne vienne pas de Jésus lui-même. C'est que la découverte que Dieu est en nous se vit effectivement comme si nous naissions une seconde fois, comme il nous est rapporté dans l'épisode avec Nicodème. Nous ne sommes pas comme deux personnes, nous ne sommes pas schizophrènes, mais plutôt comme si nous alternions entre deux pôles extrêmes, sans être jamais dans un seul mais les deux en proportions qui varient. Nous ne devenons évidemment pas définitivement, en permanence, pleinement et complètement conscients de la présence du Père ! Mais ce pôle en nous qui en est conscient nous apparaît, le jour où nous y accédons, comme quelque chose de nouveau, qui n'était pas là jusqu'à présent. Pourtant, Dieu était bien là, et notre inconscient le savait, mais pas notre conscience. On peut alors bien dire que : notre conscience ordinaire n'a jamais vu et ne verra jamais le Père, mais que notre conscience divine, si ! elle, elle l'a toujours vu, et, un jour, elle nous le révèle. C'est du moins ainsi que nous vivons cette étape.

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