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Billet de blog 7 mai 2014

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lui

Voilà, c'est comme ça que ça s'est passé dans les premiers temps. J'avais fait cette découverte, j'avais eu cette révélation, que j'ai par la suite appelée le Père en nous, mon Père, votre Père, et j'essayais de trouver les mots pour leur en parler. Et ce n'était pas facile. C'était tellement différent de ce que nous cherchions, de ce que nous espérions, en suivant Jean. Ce n'était pas vraiment contradictoire, sur le fond, mais ça changeait tout, toute la façon d'aborder les questions, le sens, le contexte, les méthodes, et même les objectifs, finalement. Et pendant que j'essayais de les éveiller, de susciter en eux le même sentiment, la même certitude, la même réalité, la même expérience que je vivais, il arrivait ces événements surprenants, bizarres, inhabituels.

Au début, je ne voulais pas y croire. Pour moi, ce n'étaient que des coïncidences sur lesquelles leur esprit avide de merveilleux s'empressait de voir des signes de Dieu. Mais c'est devenu de plus en plus troublant. Des gens se sont vraiment mis à guérir d'infirmités normalement incurables, des possédés ont vraiment été délivrés des esprits qui les emprisonnaient. S'il y avait une seule chose dont j'étais bien certain, c'est que ce n'était pas moi qui faisait tout ça. C'était Dieu, c'était leur foi, c'était eux, qui voulaient y croire, et Dieu qui leur répondait. Et c'était là tout le mystère. Comment se faisait-il que leur foi se soit mise ainsi, soudainement, à se manifester, à porter de tels fruits ? Et qu'est-ce que ça voulait dire pour moi, car j'étais aussi concerné, je ne pouvais pas me défiler comme ça, il était trop évident que, même si je n'avais jamais vraiment voulu ça, même si ce que je croyais avoir à dire ne me semblait pas avoir de rapport avec ça, même s'ils se trompaient en m'en attribuant l'origine, c'était au moins la volonté de Dieu que j'y sois mêlé. Et puis, je me réjouissais, quand même, de ce qui leur arrivait, bien sûr.

Mais pour moi, ça se compliquait, c'était un nouveau défi, une course de vitesse qui s'engageait. D'un côté, ça m'a permis de toucher un grand nombre de gens très rapidement, avec de tels hauts faits dont la nouvelle se répandit tout de suite dans toute la province. Où que je me rende, ça ne tardait pas, tout le village arrivait, suspendu au moindre de mes gestes, à la moindre de mes paroles. C'est à cette époque que je me mis à utiliser les paraboles, qui me permettaient de dire quelque chose de mon expérience sans avoir à entrer dans le discours rationnel, qui entraîne toujours des questions et des réponses et des positionnements en contre et en pour, et à n'en plus finir, comme les aiment tellement mes premiers maîtres, les pharisiens. La plupart du temps, c'était le mieux que j'avais à faire. Les paraboles permettent de ne pas susciter le rejet immédiat de ce que les gens ne connaissent pas. La connaissance est là, pourtant, enrobée dans un noyau, derrière les images, et elle fait son chemin, discrètement, presque à l'insu de celui qui l'a reçue. Elle peut mettre du temps à faire son effet, peut-être n'ira-t-elle même jamais jusqu'au bout, mais elle ne peut pas faire de mal, au contraire, elle prépare au moins le terrain pour une autre impulsion qui peut venir plus tard.

Il y eut ainsi un certain nombre de paraboles autour de la notion de Royaume. C'était un sujet trop important dans l'attente des gens, il fallait que je leur en dise quelque chose. Mais ce que j'avais à leur communiquer, le royaume qui commence à l'intérieur de soi, avant de croître et s'ouvrir au monde, était si différent de ce qu'ils y mettaient, qu'il n'aurait simplement pas été possible d'en discuter directement. Le royaume est en vous, au milieu de vous. J'ai pu le dire ainsi, quelques fois. Mais il fallait aussi que je leur en parle comme d'un trésor trouvé par hasard au milieu d'un champ, pour dire à la fois le bonheur et la surprise, l'inattendu. Ou encore comme du fils ingrat, parti avec sa part d'héritage, et qui est fêté par son père lorsqu'ils se retrouvent. Et il fallait aussi que je leur en parle comme de ces céréales qui germent et sortent de terre, simplement parce qu'elles ont la vie en elles-mêmes, et de ces graines de moutarde, si petites, et qui deviennent de si grandes plantes, simplement parce que c'est leur espèce, pour dire à la fois le merveilleux et l'intime, le naturel. Oui, c'est un royaume très différent de ce qu'ils pensaient, et je savais que cette différence finirait par se retourner contre moi, mais je faisais ce que je pouvais.

Le Royaume était un terrain miné, je ne pouvais pas aborder la question sous ce seul aspect. Il y eut donc aussi les paraboles sur le Père, ou parfois un maître empli de bienveillance, et d'une manière générale ce rapport de filiation qui dit la proximité entre Dieu et nous. Nous, les juifs, nous savons déjà que Dieu nous est proches, puisqu'il nous a choisis parmi tous les peuples de la terre. Mais ce n'est pas pareil. C'est un choix collectif, et qui suppose un marché, un contrat. Ce n'est pas du tout la même chose que le Dieu qui est proche de chacun personnellement, individuellement, et sans condition. Et je sais que ce n'est pas spécial pour moi, que ce n'est pas réservé juste à quelques uns, une élite, de prophètes. Ce n'est plus une élection, puisque tous sont élus. Et la meilleure image pour ça qui m'est venue est celle de ce père parfait, de ce père idéal, celui qu'on appelle papa parce qu'on lui fait pleinement confiance, qui n'est pas nous mais qui nous connaît, et qui aime autant chacun de ses enfants. C'est bien ainsi qu'il est. Il n'est pas le dieu qui parle dans l'orage, la foudre, l'ouragan ni le tonnerre, mais celui dont la parole est comme le murmure d'une brise légère.

J'ai cru un temps que cette image pourrait leur faire oublier leur rêve d'un nouveau David terrassant le Goliath romain. Les guérisons, les signes, montraient la foi, la confiance, de tous ces petits, les pauvres, les méprisés, accablés par leurs conditions de vie, la misère, l'oppression. Tandis que les grands, les riches, les savants, se moquaient, inaccessibles dans la tour d'ivoire de leur mépris, de leurs certitudes, de leur savoir. Ah ! cet orgueil de celui qui a les moyens de suivre à la lettre tous les préceptes de la Loi ! Comme si on pouvait se permettre de jeûner quand on a déjà faim tous les jours, ou de payer les offrandes quand on est déjà criblé de dettes jusqu'à la fin de sa vie, ou de faire ses prières quand on rentre harassé de sa journée de travail payée au lance-pierres. Évidemment, eux n'avaient rien à perdre, ils étaient prêts à tout, là où les autres préfèrent se cramponner au peu qu'ils croient avoir. Heureux les pauvres, malheureux les riches.

Source : dieu qui se cache (3) : Ils ont dit...

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