son ami Pierre, pêcheur de Galilée
Voilà, il est mort. Cette fois c'est fini, c'est bien fini. Il n'y a plus rien en nous. Il n'est plus là, il ne nous donnera plus jamais l'espoir, d'un geste, d'un regard, d'un mot. Il nous a tués ! Nous n'étions peut-être pas grand chose, pas bien riches, pas bien forts, pas bien malins, mais il nous aimait quand même, comme ça, comme nous étions. Et cet amour nous avait réveillés, nous avait donné des envies de vivre que nous ne nous connaissions pas. C'était comme une belle journée qui se lève sans qu'on s'y attende, et qu'on se croit revenus en enfance, avec que des amis, et de grandes parties de rire et de jeux. C'était comme un repas de fête, avec les musiciens qui nous habillent le cœur de légèreté, et le vin qui nous enivre de liberté, et toujours que des amis. Nous l'adorions.
Il nous impressionnait, aussi. Il n'avait peur de personne ! Ni des savants, ni des puissants. Les savants, il les stupéfiait d'abord, par ses paroles. Et ensuite, il les rendait pleins de confusion, ils n'y comprenaient plus rien, ils en perdaient leur hébreux ! En général, ils n'aimaient pas trop ça, mais nous ça nous faisait rire. Nous n'aurions pas été capables de trouver ces mots qu'il leur disait, mais nous sentions bien à quel point il avait raison, c'était tellement simple, évident, lumineux. Et les autres qui s'y emberlificotaient, c'était trop simple pour eux, sans doute. Reconnaître que tout ce qu'ils avaient appris, tout le temps qu'ils passaient à étudier, leurs lignées de maîtres dont ils se gargarisaient, tout cela n'avait servi à rien, ne servait à rien, c'était trop difficile pour eux. Il n'y en a pas eu beaucoup, en tout cas, pour se mettre de son côté.
Mais pour les puissants... Là nous ne riions plus, nous jubilions ! Ils avaient peur, eux. C'était eux qui avaient peur, de lui, de nous. Vous pouvez imaginer ça ? Nous, les bouseux, les maudits, les damnés, les moins que rien, nous faisions peur à tous ces salauds de riches qui se foutent complètement qu'on soit en train de crever de faim à leur porte. Et ces fumiers de prêtres qui s'engraissent sur nos offrandes, ils en chiaient de trouille dans leurs beaux habits de célébration. Et vrai, ils avaient de quoi. C'est qu'il nous avait gonflés à bloc, avec les temps nouveaux où il n'y aurait plus de place pour les riches, plus de lieux de culte, plus de rites obligatoires, et où nous, les derniers, nous serions les premiers. Et toutes ces guérisons qui se produisaient, tous ces gens qui se levaient, qui sortaient de leurs prisons, de leur mort. Oui, de leur prison et de leur mort. Quand chaque matin au réveil on ne sait pas si on va trouver du travail pour la journée, si on va pêcher assez de poisson, si la terre donnera assez de blé, pour qu'on puisse manger, juste de quoi survivre, pour qu'on ne se retrouve pas vendus comme esclave, on est en prison et déjà comme morts. On était des milliers, on était tous prêts à y aller, nous débarrasser une bonne fois pour toutes de tous ces parasites.
Et puis on n'a pas compris. On ne sait pas pourquoi, il a tout arrêté. Ce n'était pas ça, qu'on ne compte pas sur lui pour un truc de ce genre. Beaucoup ont pensé qu'il se dégonflait, ils sont partis. Nous, on a continué, on ne sait pas trop pourquoi non plus. Certains ont soutenu que c'était une tactique, qu'on était trop nombreux, on attirait l'attention, mais qu'il avait un plan. Et puis on l'avait suivi jusque là, qu'est-ce que ça nous coûtait de continuer, pour voir ? Et puis on n'avait pas vraiment d'autre solution, non plus, pas d'autres idées, de projets. Retourner à notre vie d'avant, ça ne nous bottait vraiment pas, ça ne voulait rien dire. Et puis, il faut bien le dire, eh bien, on l'aimait, quoi. Mais cette fois, on y est. C'est terminé. Il est venu se jeter dans la gueule du loup, et il n'y avait pas de plan, non. Ou alors il a foiré, mais ça revient au même. C'est fini. Il est mort, et tout ça n'a servi à rien. Rien ! Merde ! Je n'ai qu'envie de chialer, d'aller crever dans un coin, tout seul, me saouler à mort, tout oublier. Oui, c'est ça, tout oublier. Laisse béton ! Foutu Jésus, va...