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Billet de blog 7 mai 2014

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sa meilleure amie, Marie (et amoureuse)

Je suis revenue ce matin au tombeau, avec deux hommes pour pousser la pierre. Mais quand il a été ouvert, nous avons vu que lui n'était plus là. Rien n'avait bougé, tout était exactement à sa place, mais le corps avait disparu. Comme s'il s'était volatilisé, comme s'il s'était transformé en ce parfum que j'ai répandu sur lui, de la tête aux pieds, il y a quelques jours. Voilà, évaporé, les linges étaient juste retombés, comme un soufflé, chacun à sa place. Le drap, aplati, les bandes pour attacher le drap, aplaties aussi, encore nouées, et le linge enroulé sous le menton, qui garde la mâchoire fermée, toujours roulé, à sa place, entre les deux pans du drap.

Bien sûr, les hommes ont tout de suite pensé à des pilleurs de tombes. Mais eux ils n'ont pas pu voir, ils sont restés dehors — les hommes ont toujours eu peur des corps, alors, quand en plus ils sont morts, ils parlent d'impureté, mais nous les femmes nous savons bien pourquoi ils disent ça, la vraie raison, — tandis que moi, je suis rentrée dans la tombe, et même si le soleil n'était pas encore levé, ce n'était quand même plus la nuit noire, et, dans la pénombre, je sais bien ce que j'ai vu, et je le dis, même si ma parole n'est pas valable dans un tribunal. C'est comme ça que c'était. Je ne sais pas ce que ça veut dire, comment ça a pu se faire, mais c'est comme ça.

Sur le moment, quand j'ai vu qu'il n'était plus là, avant que je rentre dans le tombeau, ça m'a fait comme s'il était mort une seconde fois. J'ai été désespérée, encore pire qu'avant, même si je n'aurais pas cru que c'était possible. Alors je suis entrée, comme une aveugle, sans raison. J'avais besoin de quelque chose, et il n'y avait rien qui puisse me le donner, rien qui puisse me consoler, rien qui puisse me rassurer, mais qu'aurais-je pu faire d'autre ? Je voulais être la plus proche possible de là où il avait été. Et je serais restée là, jusqu'à ce qu'il se passe quelque chose, même si rien ne pouvait se passer.

Et j'ai regardé ce vide, cette absence que montrait le drap à plat, et les bandes, et la mentonnière. La mentonnière, surtout, qui m'évoquait que c'était là que s'était trouvé son visage que j'aimais tant, et il n'y était plus, plus jamais il ne me sourirait avec cette bonté, cette joie, et ses yeux qui pétillaient, pour moi. Et c'est là que j'ai été frappée. Je me suis dit tout-à-coup qu'il y avait quelque chose de bizarre à ce que la mentonnière soit à sa place, ce n'était pas normal. S'il s'était relevé, ou si on l'avait enlevé, pourquoi l'avoir remise exactement au même endroit ? Et puis, le drap replié en deux, pourquoi pas, pour qu'il ne tombe pas par terre, mais les bandes, pourquoi les avoir renouées après les avoir défaites pour sortir le corps ?

Il y a quelque chose de pas normal, dans tout ça. Mais c'est une sensation bizarre, c'est un pas normal qui n'est pas comme les autres pas normal. Normalement, quand quelque chose cloche, c'est perturbant, du désordre, de l'accident, ça vous dérègle la vie. Là, c'est comme si c'était le contraire. Ce n'est pas du dérangeant, c'est plutôt comme le signe annonciateur d'un autre ordre. C'est du naturel, mais d'un ordre nouveau. Du naturel qu'on ne connaît pas encore, qu'on ne connaissait pas encore, mais qui s'annonce, là. Du naturel qui a toujours été là, mais on ne le savait pas, et le naturel qu'on connaissait en faisait partie sans qu'on le sache. Mais ça, c'est juste ce que je ressens. Je ne suis pas une spécialiste, évidemment, je ne connais pas les mots qui expliqueraient comme il faut.

J'ai fini par ressortir du tombeau. J'ai vu le soleil qui se levait, sa lumière aussi me semblait différente, nouvelle. Je suis restée là, un moment, sous la caresse des premiers rayons, et c'était comme si mon bien-aimé m'embrassait. Alors j'ai pensé qu'il fallait le dire aux autres, et nous sommes repartis. Ensuite, quand on a eu raconté, ils sont tous allés voir. Mais il n'y a que Jean, celui de Jérusalem chez qui nous sommes cachés, qui a senti comme moi. Les autres, ils s'accrochent encore trop à leur déception, c'est sur eux qu'ils pleurent, pas pour lui. Mais ça viendra.

Source : dieu qui se cache (3) : Ils ont dit...

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