son ami André, pêcheur de Galilée
Je l'ai connu quand j'étais avec Jean, sur les bords du Jourdain. Bon, en fait, quand il est venu, nous l'avions déjà croisé avant, chez nous, mais ça ne compte pas, nous savions juste qui il était, sans plus. Nous étions plusieurs copains d'enfance de Capharnaüm, autour de Jean, avec les mêmes idées. On n'était pas tous là en même temps, on s'arrangeait pour qu'il y en ait toujours au moins un, et on se tenait au courant. Quand on a vu qu'il était aussi passionné que nous par le Royaume, là, par contre, il a commencé à nous intéresser. Rapidement, on s'est bien entendus avec lui. Et puis ensuite, on a aussi vite compris qu'il était même encore plus accro que nous. Évidemment, c'était un peu bizarre qu'il prenne tant de temps pour se faire baptiser. Mais c'étaient ses oignons, après tout. Nous, on lui faisait confiance, on voyait bien comment il était. En tout cas, nous, ça nous allait bien que Jésus soit le préféré de Jean. Un galiléen, déjà, et qui venait de par chez nous !
Quand il a disparu, on ne s'est pas inquiétés, nous. Il venait juste de se faire enfin baptiser. On sait ce que c'est, ça vous remue quand même, même si on s'est bien préparé. On a bien vu que, pour Jean, ce n'était pas pareil. Ça le travaillait. Mais on n'y pouvait rien. Et quand on a su qu'il était revenu, je suis tout de suite allé le voir. Et je ne l'ai plus quitté. Pourtant, on ne peut pas dire qu'il avait quelque chose de précis à nous proposer. Ça, non, c'était même le contraire. Il ne disait pas grand chose. Mais il respirait le calme, une paix en profondeur, une confiance, qui n'était pas une certitude, mais qui était très contagieuse. Nous sommes restés là quelques jours, pas loin de Jean. Les pèlerins affluaient, de plus en plus nombreux, un peu par curiosité. Certains demandaient d'être baptisés, alors nous avons baptisé, nous aussi. Mais ça ne lui a pas plu, ce n'était pas ça qu'il voulait, juste copier Jean. Nous avons quitté le Jourdain, et nous sommes rentrés chez nous, en Galilée.
Pendant quelques temps, il ne s'est rien passé. Avec Simon, mon frère, on pêchait, évidemment. Pareil pour les frères Zébédée, Jacques et Jean, nos associés, et aussi Philippe, et Nathanaël. Il n'était pas question qu'on reste à ne rien faire. Jésus, on allait le voir dès qu'on pouvait. Mais il ne disait toujours pas grand chose. Il y avait toujours cette impression de calme, quand on se retrouvait avec lui, mais on commençait quand même à se demander si ça n'allait pas se finir en eau de boudin. Parfois c'était lui qui passait sur la plage, en promenade, au moment où nous rentrions, avec les filets pleins, ou vides si nous n'avions pas eu de chance. C'était le cas, le matin qui a tout changé. Nous avions passé toute la nuit sans rien attraper, mais alors ce qui s'appelle rien, rien de rien. Nous n'étions plus loin de la rive, avec Simon, quand il nous a lancé son habituel « Alors, la pêche a été bonne ? », qui nous a bien un peu énervés cette fois-là. On le lui dit, mais voilà-t-il pas qu'il nous répond de lancer encore une fois les filets ! On s'est demandé s'il avait bien compris, et puis on l'a fait quand même. Et là, et là...
Le jackpot ! Il y avait tellement de poissons qu'en voulant remonter le filet, la barque s'est mise à pencher et l'eau rentrait par dessus bord. Heureusement que Jacques et Jean arrivaient derrière nous, avec leur barque à eux. On s'est réparti le poisson, on a fini de gagner le rivage et on a débarqué. On était rayonnants, comme des rois ! On ne s'était pas trompés, en misant sur lui, finalement. Dieu était avec nous, c'était le Royaume annoncé par Jean qui commençait, là, maintenant, sous nos yeux ! On ne se sentait plus, oubliée la fatigue de la nuit. Il a bien essayé de nous calmer, ce n'étaient pas les poissons qui l'intéressaient mais les hommes, quelque chose comme ça qu'il disait, mais ça ne voulait rien dire, ça. Nous sommes allés vendre notre poisson sur le marché, motus et bouche cousue en public, on ne voulait pas attirer l'attention, mais à la maison nous étions fiers de notre recette, et de comment on l'avait faite, et on ne s'est pas privés de tout raconter, avec tous les détails. Oui, bien sûr, on en a rajouté un peu, on a brodé, mais c'est sûr qu'il s'était passé quelque chose de pas normal, ce jour-là. J'y étais, moi, quand même ! Mais bon, nos familles, elles non plus, elles n'étaient pas vraiment convaincues, elles avaient comme qui dirait quelques doutes, elles n'y croyaient pas vraiment. Alors on est partis pour le chercher, pour qu'il leur dise, ou mieux, qu'il leur montre, qu'il fasse quelque chose d'extraordinaire devant elles aussi, mais on ne l'a pas trouvé.
On ne l'a pas revu de deux semaines. On avait beau chercher, personne ne l'avait vu. Évidemment, on devait un peu expliquer aux uns et aux autres pourquoi on le cherchait. C'est sans doute pour ça qu'il y a eu tellement de monde pas prévu à ce mariage où on savait qu'il était invité, à Cana, dans l'arrière-pays sur la route de la mer, la grande, la vraie. C'est pas qu'on avait tout raconté, on voulait garder des cartes dans notre jeu, c'était quand même à nous que c'était arrivé. Il n'aurait pas fallu que d'autres nous passent sous le nez. Maintenant, les gens, plus on essaie d'être discrets tout en laissant entendre qu'il s'est passé quelque chose, forcément, ça pique leur curiosité, et leur imagination se met à courir plus vite que le vent quand il vient des montagnes. C'est pas non plus qu'on espérait vraiment l'y trouver, mais on ne pouvait s'empêcher de penser que ça pouvait être une bonne occasion pour qu'il refasse quelque chose, devant du monde, pour une fête.
Eh bien ! Il y était ! Sur le coup, quand on l'a vu, ça nous a presque mis en colère, avec Simon et les autres. On l'avait mauvaise, qu'il nous ait fait miroiter de telles promesses pour nous laisser après en plan. De quoi on avait eu l'air devant nos familles depuis quinze jours ? On s'est retenus parce qu'on ne voulait pas gâcher ce qu'il préparait, mais cette fois on ne le lâcherait pas d'une semelle. Pas question de louper ça en allant boire et rigoler. Et c'est un peu ce que tout le monde devait se dire. Ceux qui savaient prévenaient ceux qui ne savaient pas, de ce qui se passait, et ça a été une noce très sage, comme on n'en a jamais vu, je crois. Au début, les parents, quand ils ont vu tout le monde qui arrivait, ils se sont inquiétés pour les réserves de vin, mais finalement ils en ont même eu de trop. N'empêche, il nous a encore bien eus, ce jour-là. Rien, mais alors rien, pas le moindre petit signe de pouvoir, rien qui puisse le faire reconnaître devant tous ces gens. Mais où est-ce qu'on allait, comme ça ?