son ami Judas, zélote
Judas était un révolté. Judéen, fils de judéens, ses parents vivaient des retombées du Temple, mais ils en étaient eux aussi des exploités, pressurés par le système et les grandes familles qui leur imposaient leur loi. C'était comme ça, et ça a toujours été comme ça depuis que le monde est monde. Le meilleur moyen par lequel un système se maintient, c'est en vous en rendant dépendants. La famille de Judas avait besoin du système économique du Temple, mais le système économique du Temple avait aussi besoin d'elle — il aurait fait beau voir que ces grands prêtres mettent eux-mêmes la main à la pâte pour faire affluer les richesses dans leurs escarcelles, — aussi le système prenait-il bien soin, autant de leur laisser quelques miettes suffisantes à leur survie, et tout autant pas assez pour qu'ils puissent prendre leur autonomie et sortir du circuit ou, pire encore, venir grignoter leur propre part du gâteau ! Oui, c'est comme ça que ça se passe dans le monde des hommes, et soit vous êtes du côté de ceux qui en profitent, soit du côté de ceux qui le subissent.
Mais Judas ne comprenait pas tout ça. Judas était un fidèle sincère, convaincu, il ne doutait pas de l'importance du Temple, il croyait vraiment que Dieu était présent dans le Saint des Saints, la pièce la plus reculée de l'édifice, là où seul le grand prêtre du moment peut pénétrer, et encore une seule fois par an. Et il était certain que seuls les sacrifices offerts tous les jours pouvaient maintenir les bonnes dispositions de ce Dieu à l'égard de son peuple. Mais son peuple, de son côté, plus exactement ses dirigeants, ne respectaient pas vraiment leurs obligations. Judas savait bien, comme tout le monde, qu'ils s’accommodaient trop facilement de l'occupation romaine, du moment qu'ils pouvaient satisfaire à leur rapacité. Judas pouvait supporter d'être exploité, mais pas par des mécréants, des athées qui n'avaient cure que tous ces païens, ces gentils, souillent de leur simple présence le pays, la ville, voire parfois le Temple lui-même, les signes tangibles de l'alliance, les garanties de leur élection par le seul Dieu vrai, l'un, l'unique, qui règne au-dessus de tous les dieux.
Judas se révolta, Judas rejoignit les rangs des révoltés, Judas devint zélote. Quand ceux d'en-haut faillissent à leur devoir, il faut que ceux d'en-bas se prennent en main pour défendre l'honneur de leur peuple. Avec ses amis, ils tendirent des pièges à des soldats isolés. L'ennui, c'est que les représailles des romains sur les populations civiles n'aidaient pas leur mouvement à devenir populaire. Ce peuple manquait de patriotisme, manquait de foi, il fallait les éduquer d'abord, leur faire comprendre où se trouvait leur salut. Judas et ses amis s'en prirent à ceux qui se compromettaient avec l'occupant, les collecteurs d'impôt, les artisans qui acceptaient de travailler pour eux, tous ces publicains, comme on les appelle. Ce n'est pas parce qu'on est dans la misère qu'on doit vendre son âme au diable, non ? L'ennui, c'est que pour chaque homme qu'ils mettaient hors circuit, il y en avait dix qui étaient prêts à prendre leur place. On tournait en rond, ils ne voyaient plus comment s'y prendre. Leur bel élan révolutionnaire retombait comme un soufflé, le cœur n'y était plus.