Cela se passe il y a deux mille ans. Un enfant naît dans une famille simple d'artisans galiléens. C'est un garçon. Ses parents, Yossef et Maryam, dont c'est le premier-né, le nomment Yeshoua, comme son grand-père, ou peut-être un autre de leurs parents. C'est un nom courant à leur époque, en fait depuis que leurs ancêtres sont revenus de leur captivité à Babylone, quelques cinq cent ans auparavant. Mais il remonte encore plus loin, au Yeshoua qui fut le successeur direct de Moshé, du père fondateur de leur religion. On sait que Moshé, après avoir guidé son peuple quarante ans dans le désert, n'entra pas dans le pays qui leur était promis, mais c'est Yeshoua qui mena la conquête. Lorsque, plusieurs siècles plus tard, après en avoir tous été chassés, ils eurent finalement l'autorisation de rentrer chez eux, c'est là que le nom de Yeshoua devint à la mode, comme pour dire qu'ils avaient reconquis leur pays. Mais à l'époque de Yossef et Maryam, ils sont de nouveau sous domination étrangère, et Yeshoua est alors donné comme une incantation de leurs aspirations à l'indépendance, un symbole de résistance dans l'adversité.
Yossef et Maryam ne vivent pas dans une grande aisance matérielle, ce ne sont pas de riches propriétaires, ni des notables, mais ils ne font pas partie non plus de la grande masse des miséreux de leur temps. La venue de Yeshoua est pour eux une grande joie, c'est une bouche qu'ils n'auront pas de difficulté à nourrir, c'est le signe que Dieu bénit leur couple en lui accordant d'être fécond. Ils ne vont pas s'en arrêter là, six autres enfants, au moins, vont suivre assez rapidement, dont quatre garçons et deux filles. Et tout aussi rapidement, Yeshoua va se trouver promu responsable adjoint de ses frères et sœurs, il va être chargé de seconder sa mère. Il en gardera toute sa vie une tendresse particulière pour ces tout-petits, tellement démunis et vulnérables, qu'ils ne savent que s'en remettre et faire confiance aux 'grands'.
Très vite, aussi, Yeshoua apporte sa contribution au travail de son père, à l'atelier, dans la mesure de ses capacités, évidemment. Il a d'abord pour tâche de rassembler les déchets, copeaux et sciure, qu'il apporte ensuite à sa mère (elle s'en sert pour allumer le feu sur lequel elle fait cuire le repas et le pain). Et peu à peu, au fur et à mesure qu'il grandira, il pourra aider à tenir une pièce, pour une opération un peu délicate, positionner des chevilles et commencer de les enfoncer au maillet, puis viendra le maniement des outils de coupe, scie, rabot. Mais, comme tous les enfants du monde, Yeshoua joue aussi, avec ses frères et sœurs, avec les enfants des voisins. Et puis enfin, être l'aîné n'a pas que des inconvénients. À la synagogue de leur village, Yeshoua va apprendre à lire les Écritures, sous la direction du responsable de l'assemblée. Les synagogues sont une institution qui a été créée par le parti des pharisiens, pour enseigner la religion au peuple, ce qui comprend bien sûr l'assemblée hebdomadaire du sabbat, au cours de laquelle un passage de la Torah est lu solennellement, puis ensuite commenté. Mais les pharisiens s'efforcent aussi de donner une instruction plus poussée à tous les fils aînés, et Yeshoua fera preuve dans ce domaine d'un intérêt remarquable. Il aime apprendre à découvrir YHWH, comment il a créé le monde, comment il a fait alliance avec Noah, puis avec Abraham, puis avec Moshé, et toute l'histoire de son peuple, les rois, les prophètes...
Il se passionne tellement pour "son Dieu" que, lorsque viendra l'âge où il aurait dû songer à se marier à son tour, fonder une famille, il oubliera de s'intéresser aux filles. Il faut dire aussi, qu'entre-temps, Yossef aura eu son accident de chantier, qui a laissé Maryam veuve, et lui et ses frères et sœurs, orphelins. En tant qu'aîné, Yeshoua a alors pris ses reponsabilités au sérieux. Ils avaient la chance d'avoir une entreprise qui leur permettait de ne pas tomber dans la misère, il a pris la suite de son père. Il ne s'en est pas plaint, tant de gens autour d'eux ont tant de mal à survivre, dépendants des caprices du temps et du bon vouloir des riches propriétaires qui les emploient. Il n'allait pas laisser sa mère et sa fratrie réduites à la mendicité, subsister de la charité de la communauté. Et les années ont passé ainsi, Yeshoua était là pour tous, c'était normal, on n'aurait pas imaginé les choses autrement, jusqu'à ce que le dernier de ses frères se soit marié, que la dernière de ses sœurs se soit faite épouser. Il continuait d'étudier les Écritures, sous la houlette des pharisiens. Le jour du sabbat, c'était souvent lui qui lisait le texte et le commentait ensuite pour l'édification de l'assemblée. Il était apprécié dans cet exercice. Des commères murmuraient bien sous cape que ce n'était pas normal qu'il ne s'intéresse pas au "beau sexe", que ce n'était pas respecter le commandement de Dieu qui a ordonné que "l'homme s'unisse à sa femme et qu'ils ne fassent plus qu'une seule chair". Mais leurs maris rétorquaient qu'il avait bien assez à s'occuper comme ça pour l'instant, sans aller en plus s'encombrer d'une épouse, dont on sait qu'elles sont plus un fardeau qu'autre chose...
Mais ce n'est pas seulement pour l'office du sabbat, et lors de l'étude avec les pharisiens, que Yeshoua pense à YHWH. À l'atelier, au travail, à la maison, aux repas, même la nuit, en dormant, ses pensées y reviennent sans cesse. C'est sa nourriture, "l'homme ne vit pas seulement de pain" aime-t-il répéter en de nombreuses occasions. Aussi, lorsque enfin tout son petit monde est casé, qu'il peut se permettre de penser un peu à lui, se met-il en tête d'aller voir un homme dont on parle beaucoup depuis quelques temps. Ce Yehohanan est en train de gagner le cœur du peuple, en annonçant que le Royaume est tout proche. C'est un homme droit, qui n'a pas sa langue dans sa poche, qui sait, peut-être même le Messie ? Yeshoua veut aller le voir pour se rendre compte par lui-même, et, s'il est convaincu, sans doute se mettra-t-il à son école, il deviendra son disciple. Ses maîtres pharisiens l'encouragent vivement dans ce projet. Yehohanan, en effet, bien qu'on le dise fils de prêtres, sape l'autorité des sadducéens, en affirmant qu'on peut obtenir le pardon de ses péchés par le rite du baptême qu'il administre, sans être obligés de passer par l'institution du Temple. Alors Yeshoua confie la direction de l'atelier, et la charge de chef de famille, à son frère cadet, Yakoub, et, l'esprit en paix et la conscience tranquille, le cœur léger et battant un peu plus fort que d'habitude, il se met en route en direction du Yordan.
Source : dieu qui se cache (2) : L'histoire