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Billet de blog 7 mai 2014

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L'histoire (10)

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Heureusement, c'est le cas, et ces partisans se montrent raisonnables, ils ne se mettent pas en tête de prolonger leur cortège à l'intérieur de la ville, si bien que c'est comme des pèlerins ordinaires que Yeshoua et les disciples, débarrassés de leurs encombrants afficionados, peuvent gagner le Temple. Ils se rendent d'abord jusque dans la cour d'Israël, l'enceinte réservée aux hommes, pour y accomplir leurs dévotions, puis repassent en sortant par la cour des femmes (ainsi appelée, non parce qu'elle leur serait réservée, mais parce qu'elles ne peuvent pas accéder au-delà, jusqu'à la cour d'Israël), où ils échangent quelques amabilités avec les uns ou les autres, et regagnent enfin la cour des gentils, cette immense esplanade accessible à tout le monde, juifs comme non juifs. C'est donc là que les païens curieux de leur religion, ou simplement attirés par la beauté de l'édifice, doivent s'arrêter. Tout le monde peut y pénétrer, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'on puisse y faire n'importe quoi. Pendant des siècles, cette cour, qui ne fait pas à proprement parler partie du Temple lui-même – c'est un espace à ciel ouvert entourant le bâtiment de toutes part, mais quand même un espace clos sur ses côtés par de majestueux portiques à colonnades –, cette cour, donc, était encore considérée comme un lieu sacré. Or, depuis quelques années, le sanhédrin a décidé d'une innovation qui a été très diversement appréciée : désormais, a-t-il dit, le commerce lié à l'activité sacrificielle du Temple pourra se tenir dans cette enceinte. Beaucoup s'en sont scandalisés. C'était pourtant aussi une mesure de bon sens, la prolifération sauvage des étals et des troupeaux dans les ruelles accédant au Temple rendait la circulation des pèlerins semblable à un parcours du combattant. En même temps, évidemment, ce nouveau dispositif permet aussi de mieux contrôler le paiement par tous les boutiquiers de la redevance sur leur activité...

On comprend que Yeshoua n'était pas de ceux qui avaient applaudi. Déjà qu'il n'a pas une grande estime pour ce système des sacrifices, qui est un des piliers, pour ne pas dire la justification principale, du Temple, si en plus l'activité mercantile vient cerner un lieu qui devrait, en tout état de cause, être dédié à la prière... "De l'air !", a-t-il envie de dire, lorsqu'ils sortent du bâtiment, et qu'ils se retrouvent déjà en prise au raccolage des vendeurs. C'est ce qu'il répond, à ceux qui le hèlent : "vous n'avez pas honte ? vous êtes là préoccupés par vos seules affaires de gros sous, à deux pas de la présence de YHWH !" Eux ne se formalisent pas pour autant, ils ont l'habitude. Beaucoup se contentent de lui hausser les épaules, quelques uns lui rétorquent qu'il ne se prend pas pour n'importe qui, à prétendre avoir meilleur jugement que le sanhédrin, et qu'il n'a qu'à aller le leur dire, à eux, et c'est jusqu'à celui-ci, qui n'hésite pas à lui répondre par un geste obscène... Là, Yeshoua finit par voir rouge. Alors il oublie toutes les mesures de prudence qu'il s'était promis d'observer. Il détache les animaux du grossier personnage, et les chasse à travers l'esplanade, ce qui entraîne leur propriétaire à leur suite. Et c'est un effet boule de neigne qui s'amorce. Les marchands voisins du précédent, qui n'ont pas suivi les détails de l'échange, craignent que Yeshoua ne s'en prenne maintenant à eux, ils préfèrent décamper sur le champ, et, de proche en proche, c'est finalement tout le 'marché' qui est pris d'une agitation frénétique. Personne ne sait de quoi il retourne exactement, mais les animaux se mettent à bêler, et roucouler, et caqueter, plusieurs, pris de panique, s'échappent à leur tour. Des hommes courent pour les rattrapper, on entre en collision, des tables de changeurs sont renversées, certains se précipitent pour subtiliser les pièces qui s'éparpillent en roulant dans toutes les directions. Un vrai champ de bataille, auquel la garde du Temple vient mettre bon ordre en renvoyant tout le monde dans ses foyers.

Yeshoua et les disciples, qui n'ont pas fait exception, qui n'y tenaient d'ailleurs pas, ressortent alors de la ville pour se rendre à Bethania, une localité située à moins d'une demi-heure de marche, où résident les amis de Yeshoua, Elazar, Martha et Maryam. Les disciples n'en croient pas leurs yeux quand ils découvrent la taille et les richesses de la demeure du frère et des deux sœurs. Eux, d'habitude si prompts à la fanfaronnade, sont dans leurs petits souliers, et vont y rester tout le long du repas (pris à la romaine, allongés sur des couchettes, un luxe de plus qui les décontenance), malgré la simplicité et les prévenances de leurs hôtes. Mais rien ne pourrait y faire, ils ne sont pas dans leur monde, et ne quittent pas le mode défensif. Aussi, lorsque, à la fin des agapes, auxquelles ils n'ont fait honneur que du bout des dents, par pure politesse, Maryam pénètre-t-elle dans la salle, munie d'un flacon d'une livre de nard ! un parfum de luxe en telle quantité ! et qu'elle se met en devoir d'en oindre soigneusement les pieds de Yeshoua, c'est plus fort qu'eux, il fallait que ça éclate. Ils sont scandalisés. Qu'est-ce qu'ils font ici, eux qui ont toujours vécu pauvres parmi les pauvres ? Ce Yeshoua qui laisse faire un tel gaspillage est-il encore leur Yeshoua ? Lui les comprend, et c'est vrai qu'il trouve aussi que Maryam a exagéré, cette fois, mais il ne peut pas lui en vouloir, non plus. Il sait qu'elle est amoureuse de lui, et la passion porte naturellement à de tels excès, surtout dans leur situation qui n'est pas sans dangers. C'est une déclaration d'amour, qu'elle lui a faite, mais Yeshoua comprend qu'il n'aurait pas dû amener les disciples ici. Il est tard, ils vont finir la nuit sur place, mais pour les suivantes, ils feront comme beaucoup de pèlerins, ils dormiront à la belle étoile, sur la colline des oliviers.

Source : dieu qui se cache (2) : L'histoire

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