Il contourne tout le lac de Kinneroth, vers le sud, avant de trouver le fleuve qui en est issu et de descendre sa vallée. Yehohanan ne se tient pas toujours au même endroit, mais il est là, quelque part sur les rives, pour administrer son baptême. C'est un voyage de quelques jours, à pied. Tout en marchant, Yeshoua admire les paysages qu'il traverse, et peu à peu, sans qu'il s'en rende compte, un grand sentiment de liberté l'envahit. C'est comme si des nuages s'étaient dissipés, une brume s'était levée, et qu'on se rend compte, à un moment, que le soleil est là. C'est tout le poids de ses responsabilités passées qui est parti. Elles ne lui avaient pourtant pas pesé, tant qu'il les assumait, il ne s'attendait pas à ce sentiment de légèreté, de paix, qui vient l'habiter. En chemin, il engage la conversation avec les habitants qu'il rencontre, les voyageurs qu'il croise, avec cette même impression d'une grâce qui aurait décidé de toucher tout ce qu'il fait. Il y a une clarté dans ces quelques échanges, une transparence, comme si des cœurs amis qui s'ignoraient auparavant se trouvaient réunis. C'est une expérience un peu bizarre, mais peut-être est-ce aussi la nouveauté de sa situation qui lui fait cet effet ?
Et c'est presque avec surprise qu'il finit par découvrir, un jour, après un des nombreux méandres du fleuve, le campement de Yehohanan. Il s'arrête un moment, éprouvant le besoin de se rappeler pourquoi il est venu ici, pourquoi il a voulu y venir. Cette vie qu'il a menée ces quelques jours n'a-t-elle pas été comme un petit paradis ? que demande-t-il de plus, y a-t-il autre chose à trouver ? n'était-ce pas déjà, un petit peu, comme s'il vivait dans le Royaume ? Alors il réalise que ce n'était qu'une parenthèse, un cadeau du ciel, mais qui ne pourrait pas durer. C'est un signe qu'il a reçu, qui lui dit qu'il a eu raison d'entreprendre cette démarche, que c'était bien ce qu'il devait faire, et il rejoint alors les autres gens venus pour le prophète, il se mêle à eux, et se met à écouter et observer avec attention.
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas décu ! ça valait vraiment le coup ! C'est en fait une nouvelle expérience inédite, qu'il fait ce jour-là. Yehohanan est bien tel qu'il en avait entendu parler, tel qu'il se l'était imaginé. Son discours est à la hauteur de ce qu'on lui en avait dit, mais ce qu'il n'avait pas prévu, c'est la réalité d'une présence, la force d'une parole, venant d'un homme réellement saisi par Dieu ! À notre époque d'aujourd'hui, on pourrait comparer avec la différence entre une musique enregistrée et un concert. Ce n'étaient que des idées, jusqu'à présent, pour Yeshoua : le Messie qui va venir, le Règne qui s'approche, et jusqu'à toute l'histoire de l'alliance de YHWH avec son peuple. Il y croyait, bien sûr, mais comme à des vérités un peu lointaines. Après tout, il n'a pas vécu, lui, au temps d'Abraham, ni au temps de Moshé. Il savait que YHWH leur avait parlé, à eux, et aux prophètes, mais c'est toute la différence entre les descriptions et la réalité vivante qui lui saute à la figure. Yehohanan lui rend présent, matérialise pour lui, ce qui n'était encore jusque là dans son esprit que des pensées. Il croyait, maintenant il sait. Et il est, littéralement, subjugué !
Quand il avait envisagé cette démarche, quand il s'était représenté à l'avance cette rencontre, il avait pensé qu'il lui faudrait bien plusieurs jours pour écouter soigneusement le message de Yehohanan, pour le comprendre, pour le méditer, avant de prendre une décision. Et s'il choisissait de le prendre pour maître, il avait aussi plutôt pensé qu'il reviendrait d'abord chez lui, informer les siens, prendre les dispositions nécessaires, transmettre définitivement à Yakoub la charge de chef de famille. Mais ça ne se passe pas comme ça, dans la vraie vie... Le jour-même, il se joint au groupe des disciples, et va y rester plusieurs années. Sa vraie famille, il vient de la trouver. L'autre, il la fera prévenir, bien sûr, en chargeant d'un message l'un ou l'autre pèlerin se rendant vers là-bas. Pour l'instant, il a justement trouvé quelques personnes originaires de sa région, parmi les disciples, avec lesquelles il se lie. Il y a là, en effet, entre autres, un certain André (un prénom d'origine grecque : ses parents font partie de ces modernes qui se laissent influencer par la mode de l'hellénisme...) et son frère Shimôn, qu'il avait déjà vaguement aperçus à l'une ou l'autre occasion, autrefois. Un Philippe aussi (encore un prénom grec), un Nathanaël, et d'autres encore, qui se présentent à lui dès qu'ils apprennent qu'un nouveau galiléen s'est joint à eux. C'est que les galiléens se serrent naturellement les coudes entre eux, dans ce petit monde dont la majorité vient de Judée.
Yeshoua accepte volontiers leur amitié, tout en restant prudent. C'est que plusieurs d'entre eux sont visiblement des sympathisants des zélotes, sinon des zélotes eux-mêmes, ces gens qui refusent de se résigner à l'occupation romaine. Yeshoua comprend leurs raisons, mais il apprécie nettement moins leur tendance à lancer régulièrement des mouvements de révolte un peu brouillons, dont le seul résultat tangible est d'entraîner des répressions qui ne font pas dans le détail, en sorte que c'est la population innocente, qui n'avait rien demandé, qui paie les pots cassés. Et c'est sans compter que ces zélotes s'érigent aussi souvent en juges de leurs propres compatriotes, sous le chef d'accusation qu'ils feraient le jeu ou collaboreraient avec les romains, les harcelant, voire, parfois, allant jusqu'à les éliminer. Bref, des gens violents, et qui ne semblent rester dans l'entourage de Yehohanan que pour tenter de profiter de l'engouement qu'il suscite pour gagner du monde à leur cause. Yeshoua reste donc ouvert, il ne veut se fâcher avec personne, mais il ne cultive pas non plus de sa propre initiative ces relations avec eux. Lui, ce n'est pas pour ça qu'il est venu.
Source : dieu qui se cache (2) : L'histoire