Anon (avatar)

Anon

alias Xavier Martin-Prével.

Abonné·e de Mediapart

1416 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 mai 2014

Anon (avatar)

Anon

alias Xavier Martin-Prével.

Abonné·e de Mediapart

L'histoire (5)

Anon (avatar)

Anon

alias Xavier Martin-Prével.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lui, ce n'est pas qu'il se cache, ni qu'il les fuient. C'est juste qu'il a un énorme besoin de faire le point. Qu'est-ce qui est en train de se passer, là ? Se pourrait-il qu'il soit effectivement le Messie ? L'idée ne lui avait même pas seulement effleuré l'esprit, jusqu'à présent. Mais maintenant, elle est là, insistante. Il interroge la présence en lui, il se réfugie en elle, aussi longtemps qu'il est nécessaire pour que son esprit s'apaise. Il n'obtient pas de réponse franche, ça ne se passe pas comme ça, dans cette relation particulière qui est devenue sa vie. Mais il se dit qu'après tout, ce n'est pas lui qui a décidé que ces signes se produiraient. Il n'y en a qu'un qui a pu le faire, c'est YHWH. Et, si YHWH l'a décidé, comment pourrait-il s'y opposer, lui ? Ce n'est pas pour autant qu'il se coulerait sans sourciller dans le rôle du Messie ! l'idée lui est vraiment trop étrangère. Mais comment pourrait-il ne pas faire confiance à son Dieu, à la vie ? Quand il finit par être retrouvé, il a donc accepté de jouer le jeu, et c'est de bonne grâce qu'il retourne avec eux au bourg, qui va désormais jouer le rôle de bastion et de base arrière de leur mouvement.

Car c'est un véritable mouvement qui se met en place et s'organise autour de lui. La nouvelle des événements qui se sont produits à Kfarnahum se répand dans toute la région. Des gens se déplacent pour venir se rendre compte par eux-mêmes, mais très vite, aussi, ils demandent que ce soit lui qui vienne chez eux, pour guérir leurs infirmes et leurs possédés. On se lance donc dans de la planification, on établit des itinéraires, plus ou moins un calendrier. Ce sont les disciples qui s'occupent de tous ces aspects un peu terre à terre. Ce n'est pas que Yeshoua n'ait pas le droit de donner son avis, évidemment, mais ces questions de détail ne l'intéressent guère. Il est pris dans l'effervescence qui est en train de faire se lever tout un peuple, comme un levain dans de la pâte. Il s'en réjouit de plus en plus sans réserves. Il ne sait pas où ça les porte, mais quand il voit la joie et le bonheur qui viennent illuminer ces gens dont la vie est souvent dure, quand il les voit redevenir fiers d'eux-mêmes, oublier leur morosité et les tracas de la vie quotidienne, il ne voit pas qu'il devrait avoir honte d'y être un peu pour quelque chose.

De cette époque, un certain nombre de ses paroles nous ont été transmises. En premier, bien sûr, le fameux "Debout, vous, les pauvres, vous qui avez faim, vous qui pleurez, réjouissez-vous, car le Royaume est à vous !" Car s'il n'est toujours pas complètement convaincu d'être le Messie, il y a une chose dont Yeshoua est certain, c'est que tous ces événements ne peuvent avoir qu'une seule signification : que le Royaume est là. Plus seulement proche, comme ils l'annonçaient avec Yehohanan, mais là, à portée de main, visible, manifesté. Les aveugles voient, les sourds entendent, les muets parlent, ce sont des caractéristiques qui ne trompent pas. C'est ce qu'il explique, justement, à quelques uns de ses anciens condisciples, de ceux qui se sont installés au pied de la forteresse où est emprisonné leur maître. Il a entendu parler, jusque là-bas, dans son cachot, de ce qui se passe ici. Ce n'est d'ailleurs pas tellement cet aspect des choses, qui lui pose question, mais d'autres échos lui sont aussi parvenus en même temps, au sujet de son ancien protégé, qui l'inquiètent beaucoup plus : que Yeshoua se laisserait aller, non seulement il ne lui arriverait plus jamais de jeûner, mais il se laisserait même entraîner dans des festins, et, pire encore, il ne refuserait pas d'y lever son verre !

Yeshoua comprend la réaction de Yehohanan. Lui-même, souvent, est pris de vertige, quand il songe à la vitesse à laquelle les choses ont changé. Mais, lorsque le temps des noces est arrivé, est-ce encore celui de l'ascèse ? Va-t-on prendre des faces de carême pour le festin auquel le Seigneur nous convie ? ne serait-ce pas lui faire injure ? Il espère que ces arguments convaincront son ancien maître, mais il sait qu'il ne peut pas l'y contraindre. Il y faudrait, sans doute, qu'il puisse être là avec eux, pour qu'il sente, lui aussi, vraiment, pas seulement par ouï-dire, ce qui se passe. Tel est le raisonnement qu'il se tient, et qu'il lui fait tenir, mais il est vrai que, un peu plus tard, lorsque le rêve éveillé dans lequel ils sont tous entraînés se délitera, il repensera à cet épisode, et se dira qu'il aurait pu lui servir d'avertissement. Mais, pour l'instant, Yeshoua est encore convaincu que c'est bien vers le Royaume qu'ils sont en marche, tous ensemble, d'un même cœur, d'un même esprit.

Yehohanan n'est pas le seul à s'inquiéter de la tournure que prennent les événements. La famille de Yeshoua, aussi, de son côté, a du mal à avaler la pillule. Qu'il les ait quittés pour se mettre à l'école de Yehohanan, ils l'avaient volontiers accepté. C'était pour la bonne cause, pour YHWH. Mais ce qu'il fait maintenant, ça ne ressemble à rien, selon leur opinion. Ils font, en effet, partie de la minorité qui résiste à l'engouement, et, en fait, c'est le contraire qui aurait été surprenant. C'est que eux l'ont connu depuis toujours ! pour eux, il est très difficile d'accepter que le brave Yeshoua qui a été leur fils, frère, beau-frère, oncle, celui qui a été un homme, certes plutôt pieux, certes responsable et sérieux, mais somme toute quand même juste un homme, soit ce que disent les autres, le Messie. Cela leur semble inconcevable. Même qu'il ne soit juste que prophète, ils ne pourraient pas y croire : il n'y a jamais rien eu dans sa vie, lorsqu'il était avec eux, qui pourrait l'accréditer. Il est né, il a grandi, il a travaillé, il a ri, il a prié, avec eux, comme tout un chacun, à tous points de vue.

Et puis, si, du fond de sa prison, Yehohanan a entendu parler de ce qui se passe, on se doute bien qu'il est loin d'être le seul ! Au premier chef, il y a le sanhédrin de Yerushalaim, ce qui s'apparente le plus à une autorité religieuse suprême, qui est en permanence sur le qui-vive dès qu'il est question de Messie. Non pas pour des raisons religieuses : dans leur grande majorité ils ne croient pas que le Royaume puisse être pour demain, ni pour après-demain. C'est qu'ils ont une vue beaucoup plus réaliste que toute cette populace, eux. Ils savent quelle est la puissance de l'empire de Rome, et qu'on ne peut raisonnablement espérer chasser l'occupant d'Israël. Et c'est justement ce qui les inquiète, avec tous ces 'messies' qui surgissent régulièrement à travers le pays, particulièrement souvent en provenance de cette Galilée, bouillon de culture où fermente en permanence l'esprit de révolte. C'est que la "pax romana" leur convient plutôt bien. Ils font, pour beaucoup d'entre eux, partie des grandes familles sacerdotales, de celles dont la fortune et la puissance sont basées sur le système du Temple et de ses sacrifices. Et comme Rome a une politique qui protège les institutions religieuses locales, tout ce que le sanhédrin désire, c'est de rester en bons termes avec l'occupant... À peu près pour les mêmes raisons, il y a bien sûr aussi Hérode, celui qui incarne l'autorité civile en Galilée, celui qui a déjà fait arrêter Yehohanan. Lui non plus n'a aucun intérêt à ce que des troubles éclatent sur son territoire, pour se faire taper sur les doigts par les romains, voire se faire retirer sa charge et exiler, ce qui finira effectivement par lui arriver. Et puis enfin, évidemment, les romains non plus ne sont pas censés jouer les sourds-muets. Même si ce qui se passe en Galilée est du ressort d'Hérode, ils se tiennent quand même au courant de ce qui s'y passe... Toutes ces parties ont donc des 'informateurs', ou faut-il les appeler des espions, infiltrés dans la population, certains peut-être parmi les proches de Yeshoua ?

Celui-ci, comme ses disciples, et comme tout le monde, sont au courant. Ils savent qu'ils sont sous surveillance. Mais les uns, comme Yeshoua lui-même et une partie de ses disciples et de la foule, ne veulent pas en tenir compte : c'est YHWH qui mène la barque, il doit savoir ce qu'il fait, non ? D'autres, plus réalistes peut-être, tablent sur le soutien des zélotes qui, eux non plus, n'ignorent rien de ce qui se passe, et suivent l'évolution de la situation de très près ! Mais pour la famille de Yeshoua, tout ceci est surtout très inquiétant. Ils savent que, s'ils ne font rien, ça va forcément mal finir. Alors, quand ils n'y tiennent plus, un jour où ils savent qu'il est de retour à Kfarnahum, ils s'y rendent, avec la ferme intention de le ramener avec eux, de gré ou de force. Mais ça commence mal, ils n'avaient pas imaginé que ça pouvait être à ce point : il y a tellement de monde autour de la maison de Shimôn qu'ils ne peuvent y entrer ! Alors ils lui font transmettre l'information : s'il vous plait, dites-lui que sa famille est là, qu'elle voudrait lui parler. Le message passe, gagne de proche en proche le cœur de la maison, jusqu'à atteindre son destinataire. Mais, comme pour Yehohanan, Yeshoua ne prend pas garde à leur démarche. Sa famille ne croit pas en lui ? ils pensent qu'il est devenu fou ? c'est triste, c'est regrettable, pour eux, car la vraie famille de tout homme, maintenant, c'est la multitude de ceux qui vont entrer dans le Royaume. Et il ne voit pas ce qu'il peut faire s'ils ne veulent pas en faire partie. C'est ce qu'il leur fait répondre sur le moment, par le même canal de communication. Mais quand la foule finit par se disperser, qu'il peut enfin sortir de la maison, ils ne sont plus là, eux non plus. Le lendemain, il se rend bien dans son village natal, mais c'est une déception pour tous, les habitants sont majoritairement imperméables à son charisme, on ne lui demande pas de guérisons... la situation ne bougera pas jusqu'à sa mort, à laquelle assisteront Maryam et Yakoub, ressassant alors encore et toujours que, ah ! si seulement il avait bien voulu les écouter...

Source :dieu qui se cache (2) : L'histoire

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.