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Billet de blog 7 juin 2025

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Qu'est-ce pour toi ?

"Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, qu'est-ce pour toi ? Toi ! suis-moi !" Cette parole sortit alors parmi les frères, que ce disciple-là ne mourrait pas, mais Jésus ne lui avait pas dit qu'il ne mourrait pas, mais...

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Pierre vient d'être invité par Jésus à le suivre. Dans la terminologie spécifique aux écoles rabbiniques, les disciples sont les personnes qui suivent un rabbi. En invitant Pierre à le suivre Jésus lui signifie donc qu'il le considère toujours comme son disciple, qu'il ne lui tient pas rigueur d'avoir cessé de le faire, que Pierre est réintégré, réadmis, dans la communauté. On pourra supposer alors que ceci vaut aussi pour les autres, pour ceux qui, dès l'arrestation de Jésus, s'enfuirent, et dont quelques uns sont là aussi : Pierre est non seulement autorisé à revenir, mais il vient même d'avoir été institué berger, responsable, de ceux-là, de tous ceux qui avaient suivi Jésus pendant ces trois ans d'aventures et de pérégrinations en Galilée.

Mais voilà que se pose aussi le cas du "disciple bien-aimé", de cet homme chez qui ils avaient pris le dernier repas, chez lequel ils s'étaient réfugiés, cachés, après l'arrestation, et jusqu'à ce qu'ils osent se risquer à retourner en Galilée (il n'y a que l'évangile de Luc à prétendre qu'ils seraient restés dans cette maison jusqu'à la Pentecôte, les trois autres parlent de retour rapide en Galilée...). Ce "disciple bien-aimé" ne fait pas partie de leur troupe, ils n'ont même vraisemblablement fait sa connaissance qu'à l'occasion du fameux dernier repas et de l'hospitalité qu'il leur a accordée dans les quelques jours qui ont suivi. Qu'en est-il donc de lui, a-t-il lui aussi le droit de se considérer comme disciple, bien qu'il n'ait pas vécu avec eux les trois années de la geste galiléenne ? telle est la question de Pierre : est-ce qu'il va lui aussi faire partie des brebis dont il aura, lui, Pierre, la charge ?

La réponse de Jésus fait alors éclater le cadre de pensées de Pierre : cet homme-là n'a pas besoin de "suivre", il n'a pas besoin d'être disciple, il peut "demeurer". Le contraste entre "suivre" et "demeurer" doit absolument être saisi ici dans ce sens-là, celui qui demeure c'est celui qui a dépassé le stade de disciple ; il ne devient pas nécessairement maître à son tour pour autant, mais, pour reprendre les concepts johanniques, c'est celui qui est passé par la seconde naissance, en sorte que son maître à lui c'est désormais l'Esprit lui-même, ce qui explique qu'il n'a plus besoin de suivre un maître extérieur, il a trouvé le seul vrai maître. Ce qui n'est donc pas le cas de Pierre, ni des autres Galiléens.

Cette distinction à faire entre deux groupes de disciples de Jésus de son vivant est essentielle si on veut comprendre ce contraste qui existe entre, d'une part les synoptiques et d'autre part l'évangile de Jean. Il y a eu, effectivement, d'un côté la troupe de Galiléens, des gens d'origines plutôt modestes, et toute une histoire qui s'est passée en Galilée, avec des guérisons inexplicables, surnaturelles, qui se produisaient, et un enthousiasme messianique qui s'est alors développé et qui est la cause essentielle de la fin tragique de Jésus, et d'un autre côté un petit groupe plutôt de notables judéens, des personnes cultivées, que Jésus rencontrait dans les quelques occasions où il montait à Jérusalem pour les grandes fêtes, parmi lesquels notables le fameux "disciple que Jésus aimait" qui le connaissait de l'époque où ils étaient tous les deux disciples de Jean le Baptiste.

Et on sait aussi que dans les débuts du christianisme, il y avait une communauté johannique, autour de ce disciple, et qui ne partageait pas nécessairement les mêmes points de vue que ceux qui se reconnaissaient plutôt dans la figure de Jacques dit le frère du Seigneur, ou dans la figure de Pierre, ou même encore dans la figure de Paul. Le christianisme des débuts a été divers, c'est par la suite seulement qu'a eu lieu une certaine forme de normalisation, laquelle a alors essayé de gommer les différences, autant que possible, mais était-ce bien judicieux ?

Illustration 1

s'étant retourné Pierre voit qui suit
le disciple que Jésus aimait
    — celui qui pendant le souper
    s'est penché sur sa poitrine et a dit
"seigneur ! qui est celui qui te livre ?" —
    l'ayant donc vu Pierre dit à Jésus
« seigneur ! et celui-là qu'en est-il ? »
    Jésus lui dit
« si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne
    qu'est-ce pour toi ?
    toi ! suis-moi ! »

cette parole sortit alors parmi les frères
    que ce disciple-là ne mourrait pas
mais Jésus ne lui avait pas dit
    qu'il ne mourrait pas
mais
    "si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne
    qu'est-ce pour toi ?"

c'est ce disciple qui témoigne de ces choses
et qui a écrit ces choses
    et nous savons que son témoignage est vrai
et il y a encore beaucoup d'autres choses
    qu'a faites Jésus
que si on les écrivait une à une
je pense que le monde ne contiendrait même pas
    les livres qui en seraient écrits

(Jean 21, 20-25)

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