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Billet de blog 7 juillet 2025

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Mirages de l'intellect

Et un, et deux, etc, Matthieu enfile les perles de son collier de miracles, des miracles qui sont pour la plupart éparpillés différemment chez Marc comme chez Luc, dans des contextes où ils sont mieux servis et prennent plus de sens ; dommage !

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Après l'appel par Jésus du collecteur d'impôts à le suivre, et une digression sur l'incompatibilité de son enseignement par rapport au judaïsme (et au-delà, par rapport à toute religion...), Matthieu reprend son énumération de miracles. Nous avons déjà eu la guérison d'un lépreux, celle du fils d'un chef de cent, la belle-mère de Pierre et tout un bourg, l'apaisement d'une tempête, l'exorcisme d'une légion de démons, une guérison de nouveau (d'un paralytique)... aujourd'hui ce sont encore deux autres guérisons, celles d'une femme et d'une petite fille, puis viendront deux aveugles, et pour finir un muet : en tout dix "miracles". Certains font alors le lien avec les dix plaies d'Égypte ?

Il est vrai que Matthieu semble présenter Jésus comme un nouveau Moïse ; c'est Moïse qui est censé avoir rédigé toute la Torah, donc toutes les règles de conduite qui devaient régir la vie des hébreux, et Matthieu nous a présenté un Jésus se basant sur cet enseignement de Moïse mais en le mettant à sa propre sauce, comme un réformateur, mais plus encore comme un innovateur, comme un nouveau législateur. Ce serait alors pour continuer le parallèle que Matthieu aurait enchaîné les trois chapitres d'enseignement par les deux de "miracles". Des miracles qui sont des bénédictions, comparées aux dix plaies d'Égypte qui étaient au contraire des malédictions, et là où les dix plaies-malédictions avaient précédé la réception des "tables de la Loi" et tout l'enseignement fixé au désert, les dix miracles-bénédictions eux ont donc à l'inverse fait suite à l'enseignement du sermon sur la montagne.

À chacun d'apprécier la pertinence de cette comparaison, de ces parallèles, une des caractéristiques en tout cas de ces miracles rassemblés ainsi si concentrés par Matthieu est qu'il en a du coup resserré au maximum les récits, en perdant alors une bonne part de leur chair. Chez Marc comme chez Luc, par exemple, l'intercalage de la femme qui perd du sang alors que Jésus est en train de se diriger vers la maison du chef suscite un suspense dramatique qu'on ne trouve plus du tout ici chez Matthieu, car chez eux au début la fille du chef n'est pas déjà morte mais "seulement" mourante, et quand la femme vient toucher le vêtement de Jésus, celui-ci se met presque à faire un caca nerveux parce qu'il veut savoir qui a fait ça alors qu'il y a toute une foule qui se presse contre lui : on perd du temps, on perd du temps, la femme barguigne avant d'oser se dénoncer, et résultat en arrivant chez le chef la fille est morte...!

Et au-delà de ce suspense, c'est aussi toute la symbolique de ce qui se joue entre ces deux femmes que Matthieu a perdue, car de nouveau chez Marc comme chez Luc, la "petite fille" de Matthieu est en fait une jeune fille, qui a douze ans autrement dit l'âge d'être mariée et de devenir mère, douze ans qui font écho aux douze années depuis lesquelles la femme a ses saignements comme si elle ne se remettait pas de ses dernières couches ; il y a donc là un télescopage, comme un passage de relais entre deux femmes, une transmission de témoin, qui n'arrivait pas à se faire, et qui expliquait qu'il y ait un sens à ce que ces deux guérisons soient ainsi imbriquées l'une dans l'autre : il fallait que la déjà mère guérisse pour que la future mère soit rassurée : enfanter ne se termine pas nécessairement mal, comme si on ne pouvait pas s'en remettre.

Voilà donc où peut mener de vouloir trop bien faire, trop bien ordonner, vouloir suivre à tout prix un plan "rationnel", un pudding d'enseignements suivi d'un cake aux miracles, ça finit par faire étouffe-chrétien, on perd la saveur, la légèreté, les couleurs, de bon nombre des ingrédients, en bref on perd ce qui faisait l'incarnation de cet homme, ce en quoi il pouvait nous toucher, nous parler, et cela à cause d'un raisonnement abstrait, d'une volonté de convaincre, d'un plan de campagne, d'un objectif de conquête... qui trop embrasse mal étreint ! mais ceci peut nous donner l'occasion de réfléchir à l'historicité des évangiles ainsi que de son héros principal ; ainsi ici il semble évident que c'est la version de Marc et Luc qui est la plus plausible : il n'y avait aucune raison que quiconque invente une telle histoire de deux guérisons intriquées rien que pour pouvoir justifier une "résurrection", un retour à la vie après une mort, même récente.

Si Jésus n'avait pas existé, si tout ça n'était l'œuvre que de faussaires (qu'ils soient par ailleurs bien ou mal intentionnés), ils n'auraient eu aucune raison d'inventer cette histoire-là, ils pouvaient se contenter comme Luc avec la veuve de Naïn de raconter le retour à la vie de son fils unique déjà mort, sans parler évidemment de Lazare chez Jean. Il n'y a réellement que quelques derniers des Mohicans qui s'accrochent encore à la non historicité de Jésus, hurluberlus persuadés de plus que le fait d'être si seuls à défendre encore une telle position indéfendable implique forcément que tous les autres ont tort selon le principe malheureusement tellement galvaudé de nos jours que tout changement de paradigme implique le triomphe de la vue d'un seul contre celle de tous les autres... il ne suffit pas que la majorité des chercheurs sur un sujet donné soient convaincus d'un certain nombre de choses pour qu'elles soient alors forcément fausses !

Illustration 1

    comme il leur disait ces choses
voici qu'un chef de synagogue vint
    et il se prosternait devant lui en disant
« ma fille est morte à l'instant
    mais viens et impose ta main sur elle !
    et elle vivra »
et s'étant levé Jésus le suivait
    et ses disciples aussi

et voici qu'une femme
    qui perdait du sang depuis douze ans
s'est approchée par derrière
et a touché un tsitsit de son vêtement
    car elle se disait en elle-même
« si seulement je touche son vêtement
je serai sauvée »
    et Jésus
    s'étant retourné et l'ayant vue a dit
« confiance fille ! ta foi t'a sauvée »
    et la femme fut sauvée dès cette heure-là

    et Jésus vint à la maison du chef
et il vit les joueurs de flûte
et la foule bruyante
    et il disait
« retirez-vous !
    car la petite fille n'est pas morte
    mais elle dort »
et ils se moquaient de lui
mais quand la foule eut été jetée dehors
    il entra et il saisit sa main
    et la petite fille se réveilla
et la nouvelle en est sortie dans toute cette terre-là

(Matthieu 9, 18-26)

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