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Billet de blog 7 octobre 2025

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Marthe ! Marthe !

Puis, dans leurs déplacements, il est entré dans un village, et une femme nommée Marthe l'a reçu, et elle avait une sœur appelée Marie qui, assise aux pieds du seigneur, écoutait sa parole, et Marthe était surchargée par tant de choses à servir...

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Tant de commentaires ont été faits sur cette malheureuse histoire ! plutôt de la part de femmes. Ah cette pauvre Marthe ! elle se tape tout le travail pour recevoir Jésus dignement, et pendant ce temps la Marie, elle, se pâme aux pieds de leur hôte, incapable de le quitter des yeux, s'oubliant et perdant tout son bon sens, pour peu qu'elle en ait jamais eu il est vrai. Je n'insinuerai pas qu'il y ait quoi que ce soit de sexuel en tout cela, quoique beaucoup ne s'en soient pas privés. Mais même si on pourrait invoquer quelque ravissement proche du sentiment amoureux, cela ne suffirait pas à justifier la remarque finale de Jésus, elle resterait trop incompréhensible, trop injuste. La question est plutôt à chercher dans les circonstances exactes de la scène qui nous est rapportée.

Il faut d'abord acter que la Marthe et la Marie dont on parle ici sont les mêmes dont parle l'évangile de Jean. Ce n'est pas évident à première vue, bien que la tradition nous les fasse voir ainsi, parce que c'est en fait là leur seule apparition dans tous les synoptiques ! De plus, Luc nous place cet épisode en plein dans la supposée montée depuis la Galilée jusqu'à Jérusalem, or elles vivent à Béthanie, dans les faubourgs mêmes de Jérusalem, cela voudrait dire que ça y est, ils y sont arrivés, mais non, il va y avoir encore près de dix chapitres de pérégrinations ! Mais sur ce dernier point, il est certain que Luc ne s'embarrasse pas de vraisemblance, et s'il a placé là cette anecdote, c'est surtout parce qu'il ne voulait pas la perdre, et il ne faut peut-être pas chercher plus loin en première approximation.

Et à partir de là, de cette idée qu'il s'agit d'un détail qui lui a été transmis à lui seul, que pour cette raison il lui fallait absolument le sauvegarder, il faut bien comprendre que l'histoire n'avait pas nécessairement vocation à représenter un enseignement central dans la prédication de Jésus, contrairement à ce qu'on en a fait. Ce n'étaient peut-être pas là les habitudes constantes de Marthe et Marie ! l'une de se démener aux besoins pratiques de la maison et l'autre de planer dans les hauteurs stratosphériques de la contemplation spirituelle... Même si l'évangile de Jean nous donne des images des deux sœurs allant plutôt dans ce sens-là, ce ne sont que des tendances, pas ces caricatures qu'on en a fait sur la base de notre seul épisode du jour...

Tout au plus, donc, peut-on penser qu'il s'est trouvé une fois où Marie était particulièrement accrochée aux paroles de Jésus, ne serait-ce que parce que ce jour-là elles étaient de fait importantes pour elle, et que Marthe étant venue la houspiller, Jésus l'a désapprouvée : mais c'était pour une fois ! en aucun cas cela ne se voulait une règle générale insinuant que la vie contemplative serait une voie de sainteté préférable à la vie active. Ce jour-là, tel était le cas pour Marie, ce jour-là c'était bien cela qu'elle avait à faire, et peut-être que Marthe serait bien inspirée de s'y consacrer elle aussi un peu de temps en temps, mais c'est tout, il ne faut pas donner plus de signification à cette petite histoire en elle-même.

Et puis il faut prendre en compte l'enchaînement entre ce qui précédait cet épisode et ce qui le suit. Hier, un légiste évoquait l'amour de Dieu et l'amour du prochain comme étant les deux commandements les plus importants, ceux à observer pour pouvoir entrer dans la vie éternelle. Puis, pour illustrer ce qu'est l'amour du prochain, Jésus lui a raconté la parabole dite du bon Samaritain. Demain, nous verrons les disciples demander à Jésus de leur apprendre à prier, et Jésus leur donnera les paroles du Notre Père. Entre les deux, donc, le souvenir de cette anecdote joue admirablement le rôle de transition entre l'attention de Marthe à son prochain Jésus, pour lui préparer à manger, et le besoin de Marie d'être enseignée sur Dieu par son seigneur Jésus.

Aussi retiendra-t-on de préférence qu'aucun de ces deux préceptes de l'amour ne puisse être une excuse pour négliger l'autre. Ni l'effervescence de Marthe aux affaires ménagères ne doit-elle lui faire mépriser le besoin de sa sœur de chercher Dieu, mais ni non plus les fonctions cultuelles du prêtre et du lévite de la parabole du bon Samaritain n'auraient dû leur faire négliger l'attention au malheureux tombé aux mains des bandits ! Il y a autant une façon de se réfugier dans l'agitation sous prétexte du service utilitaire, mais en réalité pour fuir le face à face avec la Présence, qu'une façon aussi de se réfugier dans la méditation sous prétexte de la prière, mais en réalité dans la rêverie et surtout l'égocentrisme, pour fuir les besoins concrets de nos prochains... Amour du prochain, amour de Dieu, les deux sont d'ordres différents et à mettre en œuvre l'un et l'autre.

Illustration 1

    puis dans leurs déplacements
    il est entré dans un village
et une femme nommée Marthe l'a reçu
et elle avait une sœur appelée Marie
    qui assise aux pieds du seigneur
    écoutait sa parole
et Marthe était surchargée
par tant de choses à servir
    alors elle s'est arrêtée et elle a dit
« seigneur ! tu ne te soucies pas
    que ma sœur me laisse seule au service ?
dis-lui donc de m'aider ! »
    mais le seigneur a répondu en disant
« Marthe ! Marthe !
    tu t'angoisses et t'agites
    pour beaucoup de choses
mais très peu ou une seule est requise
    et Marie a choisi le bon parti
    qui ne lui sera pas enlevé »

(Luc 10, 38-42)

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