Pour les deux derniers miracles pour compléter la dizaine, Matthieu ne s'est même pas foulé, il en a dupliqué deux autres qu'il rapporte lui-même ailleurs (les aveugles de Jéricho en 20, 29-34 et un muet démoniaque en 12, 22-23)... et de conclure son chapitre par un résumé un peu passe-partout, mais qui nous décrit assez bien du Jésus réel un minimum que personne ne conteste plus sérieusement :
Il "circulait dans toutes les villes et villages" correspond à la première période de son ministère et concerne sa province natale, la Galilée ; en ceci, il n'a fait que poursuivre ce que faisait déjà son maître Jean le Baptiste, avec la différence que Jean, pour sa part, restait dans la vallée du Jourdain, parce qu'il avait besoin de l'eau pour baptiser, et s'est peut-être limité à sa province natale à lui, la Judée. Jésus, étant galiléen, quand Jean fut arrêté retourna chez lui et c'est là qu'il se mit à plus ou moins poursuivre l'œuvre de Jean dans un tout premier temps, puis à s'en détacher dans une perspective beaucoup plus large : c'est devenu progressivement sa propre vocation, son propre ministère.
"Enseignant dans leurs synagogues" : il avait effectivement un message à transmettre lui aussi, nous en avons eu un bon aperçu avec le "sermon sur la montagne". Il ne faut sans doute pas croire que tout lui est venu d'un coup ; cela s'est plutôt élaboré progressivement, lui-même en découvrant de nouveaux aspects au fil des événements. En tout cas il est normal que cela se soit passé en fait bien plutôt dans les synagogues que "sur la montagne" : c'était le lieu par excellence, le lieu ad hoc, où il pouvait, à l'office du shabbat, toucher les habitants de ces villes et villages dans lesquels il circulait, et on notera que c'est ce que fera aussi Paul un tout petit peu plus tard, se rendant en premier à la synagogue dans chaque ville où il arrivait et y prêchant son évangile.
"Guérissant toute maladie et toute infirmité" : là réside certainement ce qui a le plus différencié Jésus du Baptiste, et c'est ce qui l'a fait élargir la visée initiale et d'une manière qu'il faut bien qualifier de radicale. L'évangéliste Jean (10, 41) le souligne comme différence essentielle entre les deux hommes, mais c'est de toutes façons la simple logique qui nous l'impose : il faut bien qu'il y ait eu une raison pour que Jésus se fasse mettre à mort. Or le soit-disant motif religieux ne tient pas : cela ne peut pas être sa supposée prétention à être Dieu lui-même ni aucun autre blasphème, car en ce cas les Juifs avaient tout-à-fait le droit de le faire mourir eux-mêmes. S'ils ont été obligés de le faire exécuter par les romains, cela ne pouvait être que pour un motif politique.
C'est l'agitation qu'il a suscitée à cause de ces fameuses guérisons qui a failli tourner à l'insurrection populaire, qu'il fallait à tout prix étouffer dans l'œuf. S'il n'y avait pas eu cet enthousiasme des foules au point qu'elles soient persuadées qu'il était le messie et que le temps de la révolte contre les romains était enfin arrivé, il n'y aurait pas eu besoin de neutraliser Jésus. On ne peut donc pas faire comme si ces guérisons ne s'étaient pas produites, qu'il se soit effectivement agi de faits surnaturels, ou qu'on veuille les expliquer par de l'auto-suggestion ou quelque autre hypothèse psychosomatique, mais de toutes façons de telles guérisons inexplicables étant des faits avérés en lien avec suffisamment d'autres lieux ou personnes y compris contemporaines pour qu'on ne puisse pas en mettre en doute la simple possibilité.
"Ému aux entrailles" : voilà qui est encore le moins contestable, bien que ce qui précède ne le soit pas non plus ; cela ne peut être que la compassion qui permette que de tels événements extraordinaires se produisent par l'intermédiaire de qui, de plus, n'en est certainement pas l'auteur mais seulement l'instrument ; c'est ce qui explique que la première fois (le lépreux) il en ait été presque révulsé, et que plus tard, voyant dans quelle impasse cela allait l'amener, il ait pu être de plus en plus réticent (le fils épileptique : "jusques à quand serai-je auprès de vous à vous supporter ?").
Mais pour l'immédiat il n'en est pas encore là, il ne voit pas encore le danger, aussi cherche-t-il plutôt le moyen de démultiplier son action en instituant des lieutenants qui puissent en faire autant...

Agrandissement : Illustration 1

et Jésus partant de là deux aveugles le suivirent
en criant et disant
« aie pitié de nous ! fils de David »
alors étant arrivé à la maison
les aveugles s'approchèrent de lui
et Jésus leur dit
« croyez-vous que je peux faire ça ? »
ils lui disent
« oui seigneur ! »
alors il a touché leurs yeux en disant
« qu'il vous arrive selon votre foi ! »
et leurs yeux furent ouverts
alors Jésus les mit en garde en disant
« voyez à ce que personne ne le sache ! »
mais eux étant partis
le firent connaître dans toute cette terre-là
puis comme ils s'en allaient
voici qu'on lui apporte un muet possédé par un démon
et le démon ayant été expulsé le muet parla
et les foules s'émerveillèrent en disant
« il n'est jamais rien apparu de semblable en Israël »
mais les pharisiens disaient
« c'est par le chef des démons qu'il expulse les démons »
et Jésus circulait dans toutes les villes et les villages
enseignant dans leurs synagogues
et proclamant la bonne nouvelle du royaume
et guérissant toute maladie et toute infirmité
et en voyant les foules il fut ému aux entrailles pour elles
parce qu'elles étaient exploitées et méprisées
comme un troupeau qui n'a pas de berger
alors il dit à ses disciples
« la moisson est abondante mais il y a peu d'ouvriers
implorez donc le seigneur de la moisson !
qu'il envoie des ouvriers dans sa moisson »
(Matthieu 9, 27-38)