Toujours cette seconde naissance ! Ces "se renier soi-même", "perdre sa vie pour la trouver", figurent chacun en plusieurs endroits dans chaque évangile synoptiques, c'est qu'ils ont dû être dits à plusieurs reprises, peut-être revenaient-ils comme un refrain dans les enseignements, mais certainement aussi ont-il frappé les auditeurs : ne sont-ils pas paradoxaux ? Et d'abord, comment fait-on pour se renier soi-même ? qui ou quoi en nous va faire quoi ? car il faut bien comprendre que derrière ce mot français "vie", c'est le grec "psyché", c'est notre âme, notre psychisme, notre personnalité, notre moi. Comment donc faire pour que notre moi se renie lui-même, qu'il se perde ?
Dans nombre de cultures il a pu exister, surtout autrefois, des rites d'initiation des jeunes gens, qui consistaient à les envoyer se débrouiller seuls dans la nature pendant plusieurs jours, alors qu'ils avaient toujours vécu jusque là au sein de la tribu, du groupe. Ils étaient capables de se sustenter par eux-mêmes, là n'était pas l'objectif, mais c'était cette solitude. Parfois ils avaient pour mission de se trouver un totem, au travers d'une rencontre vraie, d'un échange d'âme avec un membre de l'espèce qui viendrait se lier à eux, sans qu'ils sachent à l'avance de quelle espèce il s'agirait. Mais s'il n'y avait pas toujours cette notion-là de totem, le principe restait, d'entrer dans une communication personnelle et intime avec la nature dans sa dimension spirituelle. Et ils le faisaient, ne serait-ce que parce qu'ils n'avaient pas le choix, ils auraient été bannis s'ils revenaient inchangés.
Dans le livre d'Ézéchiel, le prophète rapporte que lors de sa vocation il entendit ces paroles venant de YHWH : "Fils d'homme ! tiens-toi debout sur tes pieds ! et je te parlerai". Il faut savoir se tenir debout, par soi-même, seul, si on veut entendre Dieu s'adresser à nous, et non pas dépendre de sa famille, de ses amis, de son entourage, de la société, de sa culture, de sa religion. C'est exactement la même chose qu'obtenait l'initiation dans les cultures animistes (cela existe-t-il encore ?) ; c'était aussi le sens du baptême donné par Jean ainsi que dans les premiers temps du christianisme, quand on plongeait le postulant entièrement sous l'eau jusqu'à la limite de suffoquer : une mort à soi-même, une mort à sa vie ancienne pour renaître à une nouvelle, une mort à soi-même. Ou ce sont encore des initiations maçonniques, ou les veillées d'arme du candidat à la chevalerie, et pour finir tous les rites de bizutage.
Oui, tous ces derniers exemples devenaient de plus en plus purement symboliques, et dégénérant éventuellement dans le sadisme, quand le sens s'en perdait complètement. Par contre, il n'y a alors pas à s'étonner que la très grande majorité des personnes qui font des expériences de mort imminente en reviennent comme transformées, ayant gagné une sérénité et même une sagesse, laquelle bien entendu n'est guère comprise par notre société. Alors voilà, nous n'allons évidemment pas nous mettre volontairement en danger de mort par des conduites suicidaires, mais entre ça d'une part, et d'autre part nos vies où nous prenons toutes les précautions possibles et imaginables pour nous garantir contre tous les dangers potentiels et la plupart du temps des "dangers" d'une probabilité à peu près nulle, il y a largement de la place pour des expériences très raisonnablement mais réellement disruptives.
Agrandissement : Illustration 1
alors Jésus a dit à ses disciples
« si quelqu'un veut venir derrière moi
qu'il se renie lui-même
et prenne sa croix
et me suive !
car si quelqu'un veut préserver sa vie
il la perdra
mais s'il perd sa vie à cause de moi
il la trouvera
car quel avantage retirera un homme
s'il gagne le monde entier
mais damne sa vie ?
ou que donnera un homme
en rançon de sa vie ?
car le fils de l'homme va venir
dans la gloire de son père avec ses anges
et alors il rendra à chacun
selon ses agissements
amen ! je vous dis
qu'il y a certains de ceux qui se tiennent ici
qui ne goûteront pas la mort
avant qu'ils n'aient vu
le fils de l'homme venant dans son royaume »
(Matthieu 16, 24-28)