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Billet de blog 8 septembre 2025

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Et il l'a fait

Et il a dit à l'homme ayant la main racornie : « Lève-toi et tiens-toi debout au milieu ! » et il s'est levé et s'est tenu debout, et il lui a dit : « Étends ta main ! » et il l'a fait, et sa main a été restaurée.

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La main de cet homme était "sèche, décharnée, maigre". On n'en sait pas plus, comment cela s'est-il produit, est-il né ainsi, et on peut alors penser à une atrophie congénitale, ou cette main a-t-elle été précédemment saine et une sorte de dépérissement se serait installé par la suite, peut-être un problème de vascularisation ? Dans l'un ou l'autre cas, c'est la force vitale qui a fait défaut à un moment ou un autre, ce sont les mécanisme qui dirigent et encadrent nos formes corporelles, ces mécanismes qui font que nous ne sommes pas seulement un tas de molécules mais des êtres vivants, et pas seulement des tas de cellules mais des organismes intégrés et cohérents, ces mécanismes qui nous donnent ces formes qui sont les nôtres d'êtres humains et non celles d'éléphants ou de moustiques, ce sont ces mécanismes-là, donc, qui ont fait partiellement défaut, qui ont été ponctuellement défaillants.

Il y a en tout cas une ambiguïté avec l'ordre que donne Jésus à cet homme, selon les différents sens que peut prendre le verbe grec utilisé : lui dit-il d'"étendre" sa main, dans le même sens qu'on dit qu'on tend la main à quelqu'un pour le saluer par exemple, et alors c'est simplement pour que tout le monde puisse voir cette main, que le phénomène de sa guérison soit bien visible par tous ? ou lui dit-il d'"étendre" sa main dans le sens de la développer, de la déployer, auquel cas c'est ce phénomène lui-même de la guérison qui lui est ainsi intimé, que cette main qui ne s'était jamais développée normalement le fasse maintenant, ou si elle avait régressé anormalement qu'elle procède maintenant au mouvement inverse et reprenne la forme qu'elle n'aurait jamais dû perdre.

On pourrait trouver que c'est chipoter sur les détails : quelle importance pour cet homme, du moment que sa main (re)gagne son intégrité ? et quelle importance pour les scribes et les pharisiens, puisque c'est dans les deux cas une guérison qui se produit un jour de shabbat ? et pourtant... Dans le premier cas, tendre sa main, ce n'est même pas à strictement parler sa main que l'homme a fait jouer, c'est son bras : c'est son bras qu'il a étendu, et si la guérison s'est produite, ce n'est évidemment pas par pure coïncidence, mais les scribes et les pharisiens ne peuvent pas vraiment dire que Jésus ait procédé à une guérison, il n'a pas prononcé de paroles explicites en ce sens ni accompli de gestes de guérisseur, c'est donc Dieu lui-même qui a pris cette initiative, n'en déplaise à ces censément gardiens de sa loi.

Par contre, dans le second cas, déployer sa main, c'était une commande explicite à cette main de (re)trouver toutes ses capacités, et il n'y a plus le moindre doute, Jésus a procédé à une guérison (même si, bien sûr, c'est toujours Dieu qui guérit). Mais on note, par ailleurs, que dans cette version-là de l'ordre donné, l'homme a eu comme sa pierre à apporter à l'édifice, c'est à lui que Jésus s'est adressé et non à la main, il lui a dit de déployer cette main (et c'est ce qu'il a fait — avec l'aide de Dieu, évidemment), alors qu'il aurait pu s'adresser à la main directement en lui intimant de se rétablir, comme dans ces cas de guérisons d'aveugles ou de sourds où il dit aux yeux ou aux oreilles de s'ouvrir, auxquels cas la personne elle-même n'a rien à faire, elle reste comme spectatrice de ce qui se produit alors.

Deux versions donc possibles de cette histoire. Soit une sorte de pied-de-nez aux scribes et pharisiens : vous voulez m'interdire de guérir les jours de shabbat, eh bien voyez, cette main s'est guérie toute seule sans que je n'agisse à proprement parler en ce sens, c'est donc Dieu lui-même qui est venu vous désapprouver. Soit la sollicitation de l'homme pour qu'il coopère, prenne part à sa propre guérison, si peu que ce soit, rien qu'en croyant que ce soit possible, ce qui doit alors en toute logique l'associer peu ou prou à la réprobation et la vindicte des intégristes de service. La conclusion nous dit que c'est surtout Jésus qui fait les frais de l'histoire, et de plus la "rage" dont il est question s'accorderait peut-être mieux avec la provocation, presque un tour de cochon, qu'il leur a joué, dans le cas du miracle intervenu sans qu'il n'y ait vraiment touché.

Mais d'un autre côté, ces questions de ce qui était permis ou pas de faire les jours de shabbat étaient largement débattues à l'époque, avec des points de vue pouvant aller du plus extrémisme dans la rigueur au bon sens le mieux partagé, et ce n'est certainement pas pour cette raison que Jésus a fini sur la croix. Encore une fois, dans les motifs religieux, seul le blasphème pouvait lui valoir un tel sort, et la rage mentionnée ici est vraisemblablement exagérée. Il n'est donc pas interdit d'entendre dans cette histoire que c'est en fait le bénéficiaire lui-même qui a choisi : oui, il voulait bien être guéri, même (ou surtout ?) un jour de shabbat...

Illustration 1

et il est arrivé lors d'un autre shabbat
qu'il était entré à la synagogue et qu'il enseignait
    et il y avait là un homme
    et sa main la droite était racornie
et les scribes et les pharisiens l'épiaient
s'il guérirait lors du shabbat
    afin de trouver à l'accuser
mais lui a connu leurs pensées
    et il a dit à l'homme ayant la main racornie
« lève-toi et tiens-toi debout au milieu ! »
    et il s'est levé et s'est tenu debout
    et Jésus leur a dit
« je vous interroge s'il est permis le shabbat
    de bien faire ou de mal faire ?
    de sauver une vie ou de la perdre ? »
et les ayant tous regardés un à un
    il lui a dit
« étends ta main ! »
    et il l'a fait
    et sa main a été restaurée
et eux ont été remplis de rage
et ils discutaient les uns avec les autres
    de ce qu'ils pourraient faire à Jésus

(Luc 6, 6-11)

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