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Billet de blog 8 décembre 2014

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Le plus facile

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Billet original : Le plus facile

Or, en l'un des jours, il était à enseigner. Des pharisiens et des maîtres de la loi étaient assis. Ils étaient venus de tous les villages de la Galilée, de Judée et de Iérousalem. La puissance du Seigneur lui faisait opérer des guérisons. 

Et voici : des gens amènent sur un lit un homme qui était paralysé. Ils cherchaient à le faire entrer et à le mettre en face de lui. Et ils ne trouvent pas par où le faire entrer, à cause de la foule. Ils montent sur la terrasse : à travers les tuiles, ils le descendent avec son matelas, au milieu, devant Jésus.  Il voit leur foi et dit : « Homme ! Tes péchés te sont remis ! » 

Les scribes et les pharisiens commencent à faire des réflexions. Ils disent : « Qui est-il, celui-là, qui dit des blasphèmes ? Qui peut remettre des péchés, sinon le seul Dieu ?» Jésus connaît leurs réflexions. Il répond et leur dit : « Pourquoi faites-vous des réflexions en vos cœurs ? Quel est le plus facile ? Dire : "Tes péchés te sont remis". ou dire : "Dresse-toi et marche" ? Eh bien ! pour que vous sachiez que le fils de l'homme a pouvoir sur la terre de remettre les péchés... » Il dit au paralysé : « À toi, je dis : Dresse-toi ! Prends ton matelas et va dans ton logis. » 

Soudain, il se lève en face d'eux, il prend ce sur quoi il était étendu et s'en va dans son logis, en glorifiant Dieu. Une stupeur les saisit tous : ils glorifiaient Dieu, et étaient remplis de crainte, en disant : « Nous avons vu des choses incroyables, aujourd'hui ! »

Luc 5, 17-26

Vendredi et samedi, nous avions abordé la question des guérisons sous un angle uniquement physique. Il était question d'aveugles, de lépreux, d'infirmes, de morts même, et il était question de guérir, pas d'exorciser, c'est-à-dire que le versant moral de la question n'avait pas été abordé. Il faut bien comprendre que, dans la mentalité de l'époque, les deux aspects, physique et moral, sont à peu près confondus. Guérir est aussi expulser un démon. On trouve de telles expressions dans les évangiles qui nous laissent rêveurs : Jésus expulse un démon muet, ou un démon sourd, ce qui ne signifie évidemment pas que c'est le démon en question qui était muet ou sourd ! Mais le muet, le sourd, l'aveugle, le lépreux, sont considérés devenus tels parce qu'un "démon muet" (ou sourd ou etc...) s'est emparé d'eux. Enfin, dernière pièce du puzzle, si un démon a pu entrer en vous, ça ne peut être que parce que vous avez commis un péché, vous ou l'un de vos ancêtres. C'est ici, par exemple, la question posée chez Jean (9, 2) par les disciples à Jésus au sujet de l'aveugle de Siloé : "Qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?". Question effectivement délicate : un foetus est-il susceptible de commettre un péché ?

Dans ce dernier exemple, on se doute bien que Jean a justement fait exprès de se situer sur un cas où se manifeste le plus clairement possible l'absurdité d'un tel lien obligé entre, maladies ou handicaps d'une part, et péché d'autre part. On peut lire alors le récit de la guérison de l'aveugle comme étant le désaveu de cette conception : ce ne sont ni ses parents ni lui qui ont péché, mais il est né aveugle pour que, en le guérissant, Jésus nous guérisse aussi de telles superstitions. Les synoptiques, pour leur part, ont choisi un angle d'approche différent de la question, au travers de cet épisode du paralytique passé à travers le toit, dont nous avons ici la version de Luc, mais qu'on retrouve aussi chez Marc (2, 3-12) et Matthieu (9, 1-8). Disons-le tout de suite, ce récit ne lève pas l'ambiguïté sur le lien entre déficience physique et péché. La seule chose dont il veut nous parler, c'est que, si Jésus a ces 'pouvoirs' de guérison, ce n'est pas parce qu'il est simplement un guérisseur comme ça, un peu par hasard, mais parce qu'il a d'abord cet autre pouvoir, beaucoup plus fondamental, qui est de pardonner les péchés. C'est qu'effectivement, toujours selon ces conceptions de l'époque, la guérison physique ne signifiait pas nécessairement que le péché avait été 'remis' lui aussi ! La maladie ou le handicap n'étant que la conséquence du péché, la disparition de l'effet ne présupposait rien pour ce qui est de la cause qui l'avait produit.

Ce récit a donc pour objet de lever cette ambiguïté. En réalité, les foules n'en doutaient pas vraiment. Jean Baptiste, déjà, affirmait que son baptême remettait les péchés, et on sait que Jean a eu réellement du succès. Ceux qui pouvaient contester le fait, c'étaient principalement les sadducéens, parce que c'était quand même l'objet principal de toute l'institution du Temple ! Tout le système des sacrifices, culminant une fois par an en Yom Kippour, n'était destiné qu'à ça ! L'action de Jean Batiste avait donc déjà été, avant même le commencement du ministère de Jésus, une contestation en règle du système des prêtres. Par contre Jean n'était pas thaumaturge, nous n'avons aucun témoignage qui attesterait que des guérisons se soient produites par son intermédiaire. Mais quand ça a commencé à être le cas, par l'intermédiaire de Jésus, héritier de Jean comme chacun le savait, personne n'a réellement douté qu'elles étaient simplement la confirmation de ce que Jean avait prédit. Ces guérisons étaient la clé de voûte, établissant sans aucun doute ce que Jean avait prêché, Dieu pardonnait, et mieux, maintenant, corrigeait ces effets des péchés passés jusque dans la chair. Inutile de préciser que tout ceci signifiait, en outre, que le Royaume était bien là.

De nos jours, nous aurons évidemment du mal à envisager qu'une déficience physique doive se relier à une faute morale ! Notre recherche de Dieu se situera donc, généralement, dans le domaine psychologique, visant une spiritualisation qui y mettrait de l'ordre, mais qui nous entraînerait plutôt au-delà de ce domaine, en nous éloignant du physique. C'est en tout cas ainsi qu'a été comprise pendant des siècles la religion, il s'agissait de s'évader de ce monde de chair considéré comme pesant et transitoire. Mais cette attitude est erronée, elle aussi. Nous pouvons même dire qu'une spiritualité qui mépriserait notre corps est une imposture. Sans prétendre qu'il soit nécessaire que nous arrivions à obtenir un corps en parfaite santé et sans aucune déficience — ce qui n'est pas non plus un but en soi — notre spiritualité doit par contre nous permettre de l'apprécier comme il est, et sinon, de corriger ce qui, en lui, ne nous satisfait pas. Nous devons arriver à le considérer comme un ami et un allié sur notre chemin. Pour paraphraser Jean, nous pourrions dire : "celui qui dit qu'il aime Dieu, et qui n'aime pas son corps, est un menteur !".

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