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Billet de blog 10 mai 2014

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Foules versatiles

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Billet original : Foules versatiles

Beaucoup de ceux qui l'ont entendu parmi ses disciples disent donc : « Cette parole est dure ! Qui peut l'entendre ? » 

Mais Jésus, sachant en lui-même que ses disciples murmurent à ce sujet, leur dit : « Cela vous choque ? Et quand vous verrez le fils de l'homme monter là où il était auparavant !... C'est l'esprit qui vivifie, la chair n'est d'aucune utilité. Les mots que je vous ai dits sont esprit et sont vie. Mais il en est parmi vous certains qui ne croient pas. » Car Jésus savait dès le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait.  Et il disait : « Aussi je vous ai dit : nul ne peut venir à moi si cela ne lui est donné par le Père. » 

Depuis cela, beaucoup de ses disciples s'en vont en arrière : ils ne marchaient plus avec lui. 

Jésus donc dit aux douze : « Vous aussi, vous voulez vous en aller ? »  Simon-Pierre lui répond : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des mots de vie éternelle. Et nous, nous croyons, et nous connaissons que tu es le saint de Dieu. »  Jésus leur répond : « N'est-ce pas moi qui vous ai élus, vous, les douze ? Et l'un de vous est un diable ! » Il le dit de Judas, fils de Simon Iscariote, car c'est lui qui devait le livrer, l'un des douze…

Jean 6, 60,71

Le plus intéressant dans le passage d'aujourd'hui est cette mention que "Depuis cela, beaucoup de ses disciples s'en vont en arrière : ils ne marchaient plus avec lui." Il y a eu, effectivement, à partir de la multiplication des pains, une désaffection massive des foules à l'égard de Jésus. Elles le suivaient à cause des miracles, persuadées qu'il était le Messie qu'elles attendaient, un chef politique qui allait prendre le pouvoir à Jérusalem, puis qui chasserait les romains. Or, comme l'indique le sens du long discours sur le pain de vie de Jean, Jésus refuse de se laisser embrigader sur cette voie. Ce qui est premier, pour lui, le sens de sa mission, n'est pas de donner du pain et du spectacle au peuple. Il a le souci de ce peuple, il faudrait être de mauvaise foi pour le contester ! Mais il ne pense pas qu'il lui rendrait service en accédant ainsi à ses désirs. Jésus n'a pas de solution politique, sociétale, ni même religieuse, à proposer ! Il ne pense pas qu'aucune institution, la meilleure soit-elle, puisse répondre à ce qui constitue la vraie soif de l'homme. La réponse qu'il propose, la seule qu'il connaisse, c'est cette relation qu'il a avec le Père : que chacun(e) entre personnellement dans une telle relation, voilà le commencement, la fin, et le tout de son message.

Cette mention par Jean, que c'est à la suite de la multiplication des pains que beaucoup de ceux qui le suivaient le laissèrent tomber, implique que c'est à ce moment que Jésus a décidé de clarifier ce sujet, tant avec les foules, qu'avec le groupe plus restreint de ceux qu'on peut appeler ses disciples, que même avec la "garde rapprochée" des douze. Le terme de 'disciples', chez Jean peut désigner les uns comme les autres. Dans les synoptiques, on voit que Jésus chasse d'ailleurs en premier les douze. C'est donc à une opération vérité qu'il a dû se livrer à ce moment-là, car tous étaient sur la même longueur d'onde. N'imaginons pas que les douze avaient une plus grande hauteur de vue ! au contraire, il semble évident que c'étaient eux les chefs et les promoteurs d'un Jésus Messie terrestre, comme on les voit se disputer pour savoir qui serait le premier ministre du futur gouvernement... D'une part, donc, le tournant de la multiplication des pains marque le début d'une période où Jésus va se retrouver progressivement de plus en plus seul, après avoir connu une gloire médiatique exceptionnelle. Les évangiles nous donnent à ce sujet une impression trompeuse, simplement parce que leur propos n'est pas de faire une biographie de Jésus, mais ce fait est certain : Jésus a eu d'abord un succès grandissant, chez lui, en Galilée, puis il a été boudé et délaissé, jusqu'à ne plus avoir qu'une grosse dizaine de partisans, qui ne savaient même plus trop pourquoi ils étaient encore avec lui.

D'une part, donc, un ministère public de Jésus qui a eu une histoire. Et d'autre part, un Jésus lui-même qui n'a pas été tout d'une pièce le même du début à la fin. S'il y a eu clarification à l'occasion de la multiplication des pains, c'est que c'est à ce moment que Jésus a fini par prendre conscience que les foules et lui ne poursuivaient pas le même but. Il n'a jamais été le Jésus que l'évangile de Jean essaie de nous décrire : le dieu sur terre, omniscient, toujours conscient de tout, sachant tout de toute éternité... Non, la conscience qu'avait Jésus de lui-même et de sa mission a eu, elle aussi, une histoire. Il a été un homme comme nous tous, apprenant par l'expérience. Il s'est laissé porter un temps par la vague du succès qu'il remportait, pensant qu'elle signifiait que le Royaume était effectivement en train de s'instaurer, et il n'est même pas sûr, que dans les débuts, il ne concevait pas ce Royaume de manière assez similaire aux foules. Peut-être est-ce justement le choc de la multiplication des pains, quand il a compris que ça y était réellement, qu'ils étaient prêts à l'emmener sur le champ à Jérusalem, qu'il a su à ce moment seulement que ce rôle-là n'était pas pour lui. Les synoptiques nous disent, qu'après avoir forcé les douze à repartir, et renvoyé de même la foule, il resta dans la montagne à prier. J'ai personnellement un doute que cette prière ne dura que jusqu'à la fin de la nuit. Et, de toute façon, il a certainement eu alors une longue période de méditations et de doutes, pour arriver à se représenter à lui-même un Royaume qui ne soit plus celui attendu par les foules. Passer du Royaume eschatologique, survenant comme un événement collectif et universel, au Royaume de la conversion intérieure de chacun, de la découverte par chacun du Père, chacun à son rythme, chacun à son heure.

Curieux évangile de jean, donc, qui, d'un côté, est celui qui nous promeut au plus haut point l'image d'un Jésus véritablement comme un Dieu sur terre, mais qui, d'un autre côté, est le seul à nous donner ces quelques clés qui nous permettent de comprendre qu'il n'en a rien été en réalité : que les foules voulaient l'enlever pour le faire roi, et que, devant son refus, beaucoup le laissèrent tomber.

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