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Billet de blog 9 mai 2025

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En mémoire de lui

Il est d'usage de dire que, ce qu'il restera de nous une fois que nous serons mort, c'est ce que nous aurons donné, que cela seul nous survivra. En quoi manger un peu de pain ou boire un peu de vin pourrait-il alors nous y aider ?

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Et voici donc le sommet de ce long discours, la pointe extrême de cet enseignement. Nous sommes partis de Jésus pain, autrement dit Jésus nourriture, globalement, et cela signifiait que c'étaient ses paroles, son exemple, sa manière de vivre et de se vivre lui-même, qui pouvaient, sinon devaient, être pour nous des modèles. Et maintenant nous arrivons à ces images beaucoup plus détaillées qui disent qu'il faudrait manger son corps et boire son sang, littéralement, ce qui, évidemment, se rapproche très très fort de l'institution de l'eucharistie dans les synoptiques, de ces gestes qu'aurait faits selon eux Jésus lors de son dernier repas la veille de sa mort, en prenant du pain puis du vin et en disant de le manger et de le boire...

Or, comme il est bien connu, justement Jean ne racontera pas cette institution de l'eucharistie. Comment alors bien sûr penser que cette conclusion de ce discours serait sans aucun rapport avec ce geste du partage du pain et du vin que les synoptiques de leur côté disent avoir été accompli par Jésus, lesquels synoptiques quant à eux n'ont pas une telle explication en long, large et travers du sens possible du geste symbolique ? Oui, bien sûr, nous ne pouvons pas penser qu'il n'y ait là qu'une pure coïncidence extraordinaire entre les deux traditions. Mais quel rapport exactement, là, la question devient bien plus compliquée à établir.

On remarquera pour commencer qu'il y a comme une inversion du symbolisme, entre l'institution de l'eucharistie et ce discours de Jean. Chez les synoptiques, a priori, il s'agit de considérer du pain et du vin tout-à-fait ordinaires comme symbolisant le corps et le sang de Jésus, alors qu'ici chez Jean, il s'agit de considérer le corps et le sang de Jésus comme étant une nourriture et une boisson. Si on y regarde donc de près, il n'est en fait absolument pas possible de déduire de ce discours de l'évangile de Jean qu'il y aurait lieu d'instituer un rite dans lequel on prendrait du pain et du vin et de décréter qu'ils pourraient devenir le corps et le sang de Jésus !

Effectivement, l'inverse est possible, c'est-à-dire que si on est un tenant de l'authenticité de l'institution de l'eucharistie, alors le discours de Jean vient éclairer, et par là apporter un appui théologique, à cette institution, mais si on a un doute sur cette institution, alors Jean peut être compris comme ayant au contraire voulu rétablir le bon sens des choses : ce qui importe n'est pas d'attribuer comme une valeur magique à un morceau de pain et une gorgée de vin, mais de prendre exemple sur Jésus pour mener sa vie selon le modèle qu'il nous a donné, là est le vrai chemin qui mène à notre divinisation.

Deux "détails" supplémentaires au sujet de l'institution de l'eucharistie dans les synoptiques appuient en ce sens. En premier, il faut noter que ni Matthieu ni Marc ne disent "faites ceci en mémoire de moi", il n'y a donc pas chez eux institution d'un rite à rééditer à l'avenir, mais seulement un geste ponctuel pour un soir. Quant à Luc, s'il mentionne cette instruction de le refaire, c'est qu'il est disciple de Paul et que c'est ce que prétend Paul en disant le tenir "du Seigneur". Mais Paul n'a pas connu Jésus de son vivant, il n'était donc certainement pas présent à ce dernier repas, est-ce alors d'une de ses visions mystiques qu'il a tiré ces paroles "faites ceci en mémoire de moi", et quelle valeur attribuer à cette inspiration qu'il a eue ?

Second "détail" : on n'est pas vraiment obligé de comprendre, dans les paroles de ce dernier repas, que Jésus ait dit que "ceci est mon corps, ceci est mon sang", mais possiblement l'inverse : "mon corps est ceci, mon sang est ceci", autrement dit "mon corps est comme ce pain, mon sang est comme ce vin", ce qui rejoint alors exactement cet enseignement de Jean que nous avons vu ces derniers jours au cours de ce long discours dit souvent du "pain de vie". Manger ce pain et boire ce vin sont alors des gestes symboliques par lesquels nous disons communautairement que nous nous engageons à prendre modèle sur Jésus, mais ne parlent certainement pas de ces histoires de présence réelle aux limites de l'anthropophagie...

Illustration 1

    alors les Judéens se querellaient les uns les autres en disant :
« comment peut-il celui-ci
    nous donner sa chair à manger ? »

    alors Jésus leur a dit
« amen ! amen ! je vous dis
    si vous ne mangez pas la chair du fils de l'homme
    et ne buvez pas son sang
vous n'avez pas de vie en vous-mêmes
    qui se nourrit de ma chair
    et boit mon sang
a vie éternelle
    et moi je le relèverai au jour qui vient
car ma chair est vrai nourriture
    et mon sang est vraie boisson

qui se nourrit de ma chair
et boit mon sang
    demeure en moi et moi en lui
comme le Père le vivant m'a envoyé
    et que moi je vis par le Père
ainsi qui se nourrit de moi
    celui-là aussi vivra par moi
c'est cela le pain qui est descendu du ciel
    non pas comme ont mangé les pères et ils sont morts
qui se nourrit de ce pain-là vivra pour l'éternité »

ceci il l'a dit dans la synagogue
    en enseignant à Capharnaüm

(Jean 6, 52-59)

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