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Billet de blog 9 août 2025

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Ras le bol

En général, dans les évangiles, quand Jésus vitupère contre quelqu'un, c'est contre les pharisiens, ou contre les scribes, ou contre les chefs des prêtres, mais il n'y a ici qu'un pauvre homme bien en peine avec son fils épileptique, alors ?

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"Jusqu'à quand serai-je avec vous ? jusqu'à quand vous supporterai-je ?" À qui peuvent bien s'adresser ces reproches ? En général, dans les évangiles, quand Jésus vitupère contre quelqu'un, c'est contre les pharisiens (mais il n'est pas question de pharisiens ici), ou contre les scribes (mais il n'est pas question de scribes ici), ou contre les chefs des prêtres (mais...). Il n'y a ici qu'un pauvre homme bien en peine avec son fils épileptique, et il n'y a pas de raison de penser qu'il soit étranger comme la syro-phénicienne d'il y a quelques jours : on ne comprend donc pas vraiment a priori pourquoi Jésus lui en voudrait de mettre ses espoirs en lui : il en a déjà tellement vus, et jamais il n'a déblatéré sur eux !

Il est vrai que Marc (9, 14-29), dans sa version parallèle de l'épisode, rapporte une discussion entre l'homme et Jésus, discussion qui voudrait mettre en cause un manque de foi du père, ce qui se conclut par cette belle profession de foi parfaitement ambiguë : "je crois, viens au secours de mon incroyance !" Mais cela se passe après que Jésus se soit plaint, et ressemble alors bien plus à une tentative de noyer le poisson qu'à une explication sérieuse de ces réticences, pour ne pas dire de ce ras-le-bol, lequel finalement ne peut donc guère avoir pour cible que ...les disciples.

Eh oui ! qu'on se rappelle donc la multiplication des pains, et Jésus qui "oblige" les disciples à dégager. Certes il les a ensuite rejoints, mais la tentative qu'ils avaient fomentée pour le faire proclamer roi qu'il le veuille ou non, lui a ouvert les yeux, tant sur eux que sur les foules, sur ce malentendu fondamental entre ce que eux tous attendent — le messie pas seulement spirituel mais aussi temporel, politique, et même militaire : toujours ce mélange encore à l'œuvre aujourd'hui malheureusement — et ce dont lui pour sa part veut témoigner, un royaume qui n'est pas de ce monde... Et si c'est d'un tel Dieu dont il veut témoigner, un Dieu qui ne se mêle pas de ce genre de politique, qui n'a pas de préférence pour un camp ou pour un autre, qui ne s'intéresse qu'aux personnes en elles-mêmes et non à leurs idéologies ni à leurs origines ni à leurs religions, c'est simplement que ce n'est que celui-là qu'il connaît.

Alors bien sûr on peut penser que l'homme, en venant quémander la guérison de son fils, restait dans cette même attitude, que lui aussi verrait bien Jésus devenir son roi temporel, et c'est donc peut-être quand même un peu contre lui que Jésus s'est énervé, mais bien plus que contre lui, c'est certainement contre les disciples, qui ont voulu faire les malins en son absence : "ah ! ton fils lunatique, t'inquiète ! on va te régler ça en deux coups de cuiller à pot", mais question de pot, justement ils n'en ont pas eu, ça n'a pas marché, et ils sont là la queue basse, à se tortiller pendant que l'homme a compris qu'il valait mieux qu'il s'adresse au "bon Dieu" qu'à "ses saints", entendons à Jésus plutôt qu'à ses disciples...

Et la raison pour laquelle ils ont échoué, lesdits disciples — ce manque de foi dont parle ici Matthieu, ou l'absence de prière dont parle Marc — elle est bien révélatrice de ce mélange du temporel et du spirituel : les disciples, si tant est qu'ils aient effectivement pu opérer des guérisons au cours de leur mission, l'avaient vécu comme un pouvoir qu'ils possédaient, cela leur avait donné de l'importance à leurs propres yeux et avait renforcé leurs ambitions d'être les futurs premiers ministres quand Jésus serait devenu le roi. Mais voilà, si tant est donc que ça ait marché dans le cadre de leur mission, c'était uniquement parce qu'ils l'avaient effectuée comme dans l'esprit de Jésus, sous une sorte d'influence de sa part, dont ils n'étaient même pas conscients, comme dans un état second, et maintenant que la mission s'est finie, et que la lune de miel entre eux et leur rabbi est finie : ça ne marche plus !

Les évangiles, dans leur ensemble, ont gommé au maximum ce fossé entre Jésus et les Douze qui s'est instauré à partir de la multiplication des pains, comme s'il était crédible qu'ils aient pu comprendre et accepter sa perspective non temporelle déjà de son vivant. Mais il n'y a aucune raison de croire cela, ce n'est pas vraisemblable. Jusqu'au bout ils ont certainement pensé qu'il finirait par endosser les habits du messie tel qu'ils l'attendaient, au point qu'on peut supposer que la démarche qui n'est attribuée qu'à Judas seul, la plupart d'entre eux, soit en étaient au courant et l'approuvaient voire y avaient concouru, soit l'auraient approuvée s'ils l'avait connue, l'objectif étant, comme à la multiplication des pains, de forcer Jésus, cette fois s'il voulait sauver sa peau, à montrer au sanhédrin qu'il avait bien toutes les qualités du messie, notamment par quelque miracle accompli sous leurs yeux. On sait ce qu'il s'en est suivi.

Illustration 1

et étant venus vers la foule
    un homme s'approcha de lui
    tombant à genoux devant lui et disant
« seigneur ! aie pitié de mon fils !
    c'est qu'il est lunatique et il va mal
    car il tombe souvent dans le feu et souvent dans l'eau
et je l'ai présenté à tes disciples
mais ils n'ont pu le guérir »
    alors répondant Jésus a dit
« ô génération sans foi et pervertie !
    jusqu'à quand serai-je avec vous ?
    jusqu'à quand vous supporterai-je ?
amenez-le moi ici ! »
    et Jésus l'engueula
    et le démon sortit de lui
    et le garçon fut guéri dès cette heure-là
 
alors s'étant approchés de Jésus à part
    les disciples dirent
« pourquoi n'avons-nous pas pu l'expulser nous ? »
    et il leur dit
« c'est à cause de votre peu de foi
car amen ! je vous dis
    si vous aviez de la foi comme une graine de moutarde
    vous diriez à cette montagne
"va d'ici à là !"
    et elle irait
et rien ne vous serait impossible »

(Matthieu 17, 14-20)

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