Après l'enseignement du Notre Père, Luc a rassemblé quelques matériaux concernant la prière. D'abord une petite parabole qu'il est le seul à avoir (on ne la trouve ni chez Matthieu ni chez Marc), pour illustrer qu'on ne doit pas avoir peur de déranger Dieu en s'adressant à lui ! C'est une parabole qui ressemble assez à une autre, propre à Luc elle aussi, où une pauvre veuve n'arrête pas de tanner un juge corrompu jusqu'à ce qu'il cède pour qu'elle cesse de lui casser la tête ! Dans les deux cas, même identification de Dieu à une personne dont le demandeur dépend pour atteindre un objectif qui lui est personnel, et d'un Dieu qui, a priori, préférerait être tranquille et qui répond à cette demande ne serait-ce que pour pouvoir retrouver sa tranquillité.
Faisant suite alors à cette parabole de l'ami sans-gêne, comme trois sentences, trois injonctions : demandez ! cherchez ! toquez ! et qui nous assurent que de s'engager dans de telles démarches ne peut que porter son fruit. Et la justification vient ensuite par une nouvelle parabole comparant Dieu à un père auquel ses enfants demandent leur nourriture, et si on n'oublie pas que Dieu est autant mère que père, alors on comprend mieux encore que dans l'image de l'ami déjà couché. On le sait, des parents, normalement, font du mieux qu'ils peuvent pour le bien de leurs enfants : s'ils demandent du poisson ou un œuf, ils ne leur donneront pas à la place un serpent ou un scorpion ! Une autre image, donc, qui fonctionne très bien. Mais il faut faire bien attention à ce que dit exactement la conclusion.
Il n'est effectivement pas question que des parents, et similairement Dieu, acquiescent à n'importe quelle demande de leurs enfants ! Il n'est pas question d'enfants demandant du vin, ou de conduire une voiture, ou un fusil pour tirer sur le voisin, etc. Il est question de demandes répondant à des besoins vitaux, des besoins légitimes. Et la réponse, le don en retour que fera Dieu à toutes les demandes qui lui seront adressées, selon Luc, il n'y en a pas trente six, il n'y en a qu'un, parce que c'est le plus haut don possible, le seul qui compte : l'Esprit saint, la Présence de Dieu, en soi, avec soi, pour toujours. Ici, Luc s'est nettement différencié de Matthieu (7, 7-11) dans sa version parallèle, qui dit que Dieu donnera de bons dons, exactement comme les pères de la parabole, laissant entendre qu'il donnera ce qui est demandé...
À mon sens, la version de Luc va donc beaucoup plus loin que celle de Matthieu, montrant une meilleure compréhension de ce qu'est fondamentalement la prière. Matthieu laisse la possibilité qu'on prie pour la guérison d'un proche, la réussite professionnelle d'un autre, le réconciliation dans un couple, la paix dans le monde, etc., toutes choses qui partent de bons sentiments, et qu'on obtienne satisfaction comme par miracle, mais Dieu est-il cet opérateur omni-compétent qui interviendrait à tout propos avec sa clé à molettes et son tournevis pour réparer à tout bout de champ les mille et une avaries se produisant un peu partout dans son œuvre ? Par contre, si son Esprit est en moi, avec moi, alors je deviens capable d'intervenir, moi-même, pour son compte, y compris parfois (souvent ? toujours ?) dans des circonstances où je ne pourrais rien faire sans lui.
Voilà alors le vrai sens de la prière. Non pas démissionner et s'en remettre au deus ex machina, à Superman, au Père Noël, pour que tout aille bien autour de soi et jusque dans tout l'univers, mais s'harmoniser avec la Présence, pour être capable d'agir à bon escient, et on est alors toujours surpris jusqu'où ça peut aller, bien au-delà de ce qu'on croyait possible ! Une dernière précision cependant, s'il en est besoin : la Présence, l'Esprit saint, est toujours présent en nous et avec nous ; ce qu'on appelle le don de l'Esprit, c'est plus simplement (?) cette capacité à en être conscient, ce qui nous donne la possibilité de nous conformer à lui, c'est-à-dire aux desseins de l'univers, en connaissance de cause, et non au petit bonheur la chance, quasiment à pile ou face. Mais ce n'est quand même pas une garantie absolue, cela ne dispense pas de tout discernement...

Agrandissement : Illustration 1

et il leur a dit
« qui parmi vous a un ami
et irait vers lui au milieu de la nuit et lui dirait
"ami ! prête-moi trois pains !
parce qu'un ami est arrivé de voyage chez moi
et je n'ai rien à lui servir"
et lui du dedans répondrait en disant
"ne me fais pas suer ! la porte est déjà fermée
et mes enfants sont au lit avec moi
je ne peux me lever pour te donner"
je vous dis
même s'il ne se lève pas pour lui donner
parce qu'il est son ami
par contre à cause de son sans-gêne
il se lèvera pour lui donner
tout ce dont il a besoin
et moi je vous dis
demandez ! et il vous sera donné
cherchez ! et vous trouverez
toquez ! et il vous sera ouvert
car quiconque demande reçoit
et qui cherche trouve
et à qui toque il sera ouvert
car à quel père parmi vous
le fils demandera un poisson
et au lieu de poisson il lui remettra un serpent ?
ou de même il demandera un œuf
et il lui remettra un scorpion ?
si donc vous mauvais que vous êtes
savez donner de bons dons à vos enfants
combien plus le père du ciel
donnera-t-il l'Esprit saint
à ceux qui le lui demandent ! »
(Luc 11, 5-13)