Billet original : Maternité spirituelle
Or pendant qu'il parle ainsi, une femme, de la foule, élève la voix. Elle lui dit : « Heureux le ventre qui t'a porté et les seins que tu as tétés ! » Mais il dit : « Plutôt : Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent ! »
Luc 11, 27-28
Voici une image savoureuse ! Cette femme qui intervient depuis la foule ne dit pas "heureuse celle qui t'a porté et allaité !" comme croient devoir corriger à peu près la moitié des traductions françaises... mais bien : "heureux le ventre qui t'a porté et les seins que tu as tétés !" On se demande quel est le problème qui a incité certains à transformer ainsi le texte. Est-ce l'évocation d'organes concrets féminins qui a été jugée impudique, voire un crime de lèse-divinité du fait qu'on parle de Jésus ? Est-ce parce qu'en parlant de son ventre et de ses seins, on semble réduire Marie à une pure fonction physiologique, et là aussi avec un peu en arrière-plan une image éthérée de sa maternité 'divine' qui se trouverait ainsi écornée ? Il y a sans doute de ces deux motivations. Le christianisme s'enorgueillit d'être une religion de l'incarnation, mais "cachez ce sein que je ne saurais voir...", il a fallu qu'il la vide de toute sa substance, avec une conception virginale, et pour certains même une naissance virginale ! Ce sont pourtant les mêmes qui sont les plus farouches opposants à toute assistance médicale à la procréation, alors que leur Dieu serait né d'une implantation in utero, mais ils ne voient pas le rapport...
Cette péricope est propre à Luc, et nous rappelle celle où la famille de Jésus voulait le 'voir' (chez Marc, se saisir de lui et le ramener chez eux, pour faire cesser ce qu'ils considéraient comme un scandale). Chez Marc, c'est d'ailleurs à ce moment-là, après la controverse avec les pharisiens sur le sujet de savoir si Jésus ne serait pas un affidé de Béelzeboul, que se situe l'épisode avec sa famille. Ce n'est donc pas un hasard si notre péricope du jour se retrouve, chez Luc, à ce même moment. Luc a pourtant aussi l'épisode avec la famille de Jésus, mais il l'a placé dans un contexte assez arbitraire, comme s'il avait voulu brouiller complètement tout lien possible entre le soupçon que Jésus agisse sous l'influence d'un démon, et sa famille, contrairement à ce que Marc laisse clairement comprendre. Notre péricope est donc vraisemblablement une invention de Luc, destinée à ce que la réponse "Plutôt heureux..." puisse s'appliquer aussi (surtout ?) à Marie. Il faut se rappeler en effet l'évangile de l'enfance, lorsque Jésus était resté au Temple pour discuter avec les docteurs de la Loi (Luc 2, 41-52), et qu'il dit à ses parents : "Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ?" Luc précise alors qu'ils ne comprennent pas cette parole, mais que Marie la garde dans son cœur ! Il n'y a pas de hasard, chez Luc. La formule que nous avons aujourd'hui "ceux qui entendent la Parole et la gardent" est une allusion directe à cet épisode de l'enfance. Luc parle ici en premier de Marie.
Et ainsi peut s'expliquer que Luc n'ait de plus volontairement parlé que du ventre et des seins de Marie, sans parler d'elle en tant que personne, pour accentuer le contraste entre la mère biologique réduite à ses organes dédiés, et la femme, personne humaine à part entière, définie pour elle-même et non dans son seul rôle d'épouse ou de mère, qui a su entendre et accueillir le salut. Il s'agit là, bien sûr, de l'icône que Luc a construite pour Marie, icône qui sera adoptée par la suite par le christianisme sans se poser de questions, et que la recherche historique conteste fortement. La réalité est celle décrite par Marc, Marie, comme les frères de Jésus, le prenaient pour un fou, et rien ne permet de penser qu'ils aient changé d'avis avant sa mort. Ensuite, on les retrouve par contre dirigeant, comme une affaire familiale, la communauté des juifs de Jérusalem qui sont partisans que Jésus a été le Messie. On ne sait pas comment ils ont été convaincus, si c'est d'eux-mêmes qu'ils ont cru à la résurrection ou si c'est suite à des argumentations des anciens disciples qui y avaient d'abord cru eux-mêmes. On ne sait pas non plus quels besoins avaient poussé cette communauté à se placer ainsi sous l'autorité de la famille biologique de Jésus. Ce qui semble certain, c'est que, tant les communautés pauliniennes, que la communauté johannique, ont éprouvé le besoin de récupérer ce leadership pour leur propre compte, eux aussi, et que ce sont les seules raison qui ont poussé, d'une part Luc à construire son image d'une Marie "gardant tout dans son cœur", et d'autre part Jean à prétendre à une filiation spirituelle ordonnée par Jésus lui-même sur la croix.