Billet original : Petit, c'est beau
« Venez à moi vous tous qui peinez, qui êtes chargés, et moi, je vous reposerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi, parce que je suis doux et humble de cœur. Et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est bienfaisant, et ma charge, légère. »
Matthieu 11, 28-30
Cette péricope est propre à Matthieu seul. C'est peut-être une des plus célèbres de l'évangéliste, et peut-être aussi une des moins comprises. La plupart du temps, elle sera interprétée dans le cadre d'une religion chrétienne qui place Jésus comme celui qui pourrait nous sauver presque malgré nous. Sans que nous ayons autre chose à faire que de croire en cette religion, et suivre les préceptes de morale qu'elle enseigne, nous serions alors assurés d'obtenir le salut, bien sûr ceci étant pour après notre mort. Voyons de plus près ce que nous dit en réalité le texte.
Notons d'abord la construction en chiasme : à "vous qui êtes chargés" au début, répond "ma charge est légère" à la fin. De même, à "je vous reposerai" répond "vous trouverez du repos". Nous avons donc là le contexte, les raisons qui peuvent nous pousser : la vie, c'est difficile. Effectivement, à l'époque de Jésus, la Loi (à laquelle fait explicitement allusion le terme de 'joug'), surtout augmentée des innombrables préceptes issus de la tradition, pouvait être ressentie par beaucoup comme une accumulation de contraintes dont il était difficile de discerner le bien-fondé. On peut penser encore, sur ce point, à cette diatribe de Jésus contre les "scribes et pharisiens" qui lient de pesants fardeaux sur les épaules des gens. On peut encore penser, justement, à ces religions qui se réclament chrétiennes, et qui ont produit tout un attirail de dogmes, paraît-il indispensables, et de règles, censées s'imposer absolument. Tel est donc le contexte, auquel veut alors répondre la seule phrase centrale, le cœur de cet enseignement.
"Prenez mon joug sur vous, apprenez de moi" : c'est ici que peut se glisser l'erreur de compréhension. L'expression situe effectivement Jésus dans une position similaire aux 'rabbis' de son époque, c'est-à-dire de ces scribes et pharisiens que nous venons d'évoquer. Ce positionnement est voulu, mais c'est pour faire contraste, et non pour situer Jésus comme un parmi ces nombreux 'maîtres'. Jésus n'est pas comme eux. Il faut se rappeler de la suite de la même diatribe, où il est précisé, qu'outre de charger les épaules des autres de lourdes charges, "eux-mêmes ne les lèvent même pas du petit doigt". Ce ne sont que de beaux parleurs, qui disent mais ne font pas. Jésus n'enseigne pas de cette façon. Ce qu'il a à nous transmettre, c'est uniquement ce qu'il vit lui-même. La fin de la phrase n'est donc pas du tout — comme le supposent pratiquement toutes les traductions françaises en l'introduisant par un "car" ou "parce que" — la raison pour laquelle on devrait se mettre à l'école de Jésus, ce qui signifierait qu'on a tout intérêt à le choisir parce que lui ne va pas nous taper sur les doigts avec sa règle en fer... Non, en réalité, cette fin de phrase, c'est l'enseignement lui-même. Apprenez de moi : "je suis doux et humble de cœur".
Tout ça pour ça ? c'est trop simple ? eh oui ! si on s'attendait à une révélation très savante, une gnose secrète, des considérations intellectuelles de haut vol... on est déçu. Trop facile à retenir, oui, mais à mettre en œuvre... Être, et rester, "humble de cœur", telle est la fine pointe de cet enseignement, qui ne se révèle qu'à "des tout petits". Tel est aussi le vrai sens de Noël, la re-naissance en nous de l'être infiniment vulnérable que nous sommes tous, et que sans fin nous nous efforçons de barricader, d'entourer de hautes murailles et de remparts, de cacher sous d'innombrables déguisements et comportements plus ou moins agressifs "pour le défendre". Évidemment qu'une telle attitude d'humilité jusqu'au cœur a mené Jésus sur la croix : évidemment, évidemment que renoncer à tous ces masques, abattre ces murailles, briser ces carapaces, passe aussi pour nous par une forme de crucifixion. Mais si nous sommes sincères, nous savons que c'est ce qui nous libèrera.