Peut-être ici l'enseignement le plus inadmissible, inacceptable, incompréhensible, pour toute une certaine droite qui prétende se référer au christianisme : aimer ses ennemis ; pire encore que "heureux vous les pauvres et hélas pour vous les riches". Aimer ses ennemis, être bienveillant avec les ingrats et les mauvais, les méchants, les cruels, les bouchers, Hitler, Staline, Netanyahou... Oui, comment peut-on enseigner de telles c... ? Il n'y a pas de vie en société possible si on se met à tolérer les Gilles de Rais et autres ogres et serial killer : il faut être raisonnables, et la justice dans tout ça ? la justice pour les Juifs, pour les victimes des pogroms et des stalags, pour les Palestiniens et tous les peuples génocidés, pour tous les innocents qui n'avaient rien fait, qui ne demandaient qu'à vivre honnêtement et simplement, sans faire de tort à personne...
Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit quand il nous est demandé d'aimer, il ne s'agit pas d'applaudir, il ne s'agit pas de dire que le mal c'est le bien, il ne s'agit pas de tolérer en aucune manière ni ce qui a été fait dans le passé ni ce qui se fait ni ce qui se fera. Mais nous sommes seulement invités à faire ce que fait Dieu : être "compatissants", et pas seulement à l'égard des victimes mais aussi des coupables. Parce que c'est peut-être difficile à comprendre, à se représenter, mais nous ne pouvons pas savoir pourquoi ces personnes se comportent de la façon dont elles se comportent, et qu'il est extrêmement probable, sinon à peu près certain, que, si nous avions été à leur place — c'est-à-dire ayant reçu la même constitution physique, génétique, et nés dans la même famille, et vécu les mêmes événements depuis notre conception —, alors nous aurions fait absolument tout comme eux.
Bien entendu, il y a ce qu'on appelle le libre-arbitre, et peut-être aurions-nous fait tout autrement. Peut-être... mais nous ne pouvons absolument pas le savoir ! c'est quelque chose que personne ne peut faire, prétendre savoir ce qu'il aurait fait à la place de l'autre, personne ne peut juger l'autre, "Dieu" seul le pourrait. Or, il est clair que Dieu n'intervient pas pour empêcher les "méchants" de commettre leurs méchancetés, du moins pas directement ; il n'arrête pas leurs bras ni leurs jambes ni quoi que ce soit. Tout au plus, parfois, protège-t-il certains en les avertissant à l'avance pour leur éviter ce qui aurait pu leur arriver. Non, Dieu n'anéantit pas le méchant : autant demander à une mère de tuer son enfant ; quoi qu'il fasse, quoi qu'il ait fait, n'espérera-t-elle pas toujours qu'il puisse changer, se repentir ? tel est Dieu, non seulement père, mais bien évidemment tout autant mère !
Et c'est cela seulement qui nous est demandé : avoir cette même compassion que Dieu a à l'égard de tous ; y compris pour ce qui est de nos ennemis : espérer, croire, toujours, qu'il y a en eux quelque part, même profondément cachée, une capacité à changer. Et cette capacité à changer, ce n'est certainement pas par la contrainte qu'on peut la susciter, c'est pourquoi il ne s'agit pas de punir, mais seulement d'empêcher de nuire, cela oui, bien sûr qu'il faut le faire. Tendre l'autre joue n'est alors sans doute pas à prendre toujours au pied de la lettre, il ne s'agit pas (ou rarement) de provoquer l'autre à réitérer son agression, mais on peut prendre exemple sur ce que fit Jésus quand il fut giflé : il demanda simplement, au garde qui l'avait fait, pourquoi il l'avait fait, essayant ainsi de le mettre en face de sa conscience, ce qui était cependant bien prendre le risque de s'en recevoir une autre ! plutôt que de se taire...
Évidemment, tout ça sous-entend qu'on ne soit peut-être pas que des animaux ou que des machines, ne serait-ce que pour justifier qu'on dispose soi-même de ce libre-arbitre qu'on exige de l'autre...

Agrandissement : Illustration 1

mais à vous qui écoutez je dis
aimez vos ennemis !
faites du bien à ceux qui vous haïssent !
bénissez ceux qui vous maudissent !
priez pour ceux qui vous calomnient !
à qui te frappe sur la joue présente aussi l'autre !
et à qui prend ton manteau ne refuse pas la tunique aussi !
à quiconque te demande donne !
et à qui prend ce qui est tien ne redemande pas !
et comme vous voulez que les hommes vous fassent
faites-leur de même !
et si vous aimez ceux qui vous aiment
quelle grâce est-ce pour vous ?
car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment
et si vous faites du bien à ceux qui vous font du bien
quelle grâce est-ce pour vous ?
même les pécheurs le font
et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir
quelle grâce est-ce pour vous ?
même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour recevoir le même
mais aimez vos ennemis et faites du bien et prêtez
sans rien attendre en retour !
et votre salaire sera grand et vous serez des fils du Très Haut
car lui est bienveillant avec les ingrats et les mauvais
soyez compatissants comme votre père est compatissant !
et ne jugez pas et vous ne serez pas jugés !
et ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés !
pardonnez et vous serez pardonnés !
donnez et il vous sera donné !
on donnera dans votre sein une mesure
belle tassée secouée débordante
car c'est de la mesure dont vous mesurez
qu'il sera mesuré en retour pour vous
(Luc 6, 27-38)