Voici ce passage de l'évangile de Jean où il expose les raisons pour lesquelles le sanhédrin de Jérusalem, l'instance religieuse suprême d'Israël, va faire mourir Jésus : pour des raisons purement politiques. Si le succès de Jésus auprès du peuple s'accroît encore, ils devinent ce qu'il va se passer : les gens croiront qu'il est le messie, que le moment sera donc venu de se révolter contre les romains, et cela, ils en sont surs, ne pourra se finir qu'en une répression d'une telle férocité que, tant leur "lieu" (le temple) que la nation (le peuple lui-même dans son ensemble) ne s'en remettront pas.
Et c'est là la seule et vraie raison pour laquelle Jésus a été mis à mort par les romains : parce que c'était une question politique, et non religieuse comme tendent à le faire croire les évangiles synoptiques. On le voit ici chez Jean, c'est tout juste si Hanne essaiera de se renseigner auprès de Jésus sur ses croyances religieuses, on sait encore moins ce qu'il se passera chez Caïphe, sans même parler d'une hypothétique réunion du sanhédrin, et face à un Pilate décrit comme récalcitrant à exécuter Jésus (ce qui, entre parenthèse, n'est pas crédible, mais c'est une autre question), l'argument qu'ils avanceront et qui emportera sa décision sera que Jésus se serait prétendu être roi.
Il est vrai que, avant cette affirmation qu'il se serait prétendu être roi, l'évangile avancera celle qu'il se serait prétendu être "fils de Dieu". On pourrait donc croire qu'il s'agirait là d'un argument religieux, mais ce n'est pas le cas pour plusieurs raisons, que nous avons déjà vues. La première est que se dire fils de Dieu n'est déjà pas aussi grave que s'il s'était prétendu être Dieu lui-même, tout au plus était-ce une prétention usurpée à être prophète. La deuxième est que, en matière religieuse, les romains laissaient toute liberté aux peuples qu'il conquéraient, raison pour laquelle les Juifs pouvaient fort bien lapider des personnes quand elles le méritaient selon leurs lois religieuses.
Il y avait cependant une seule exception à cette liberté religieuse accordée par Rome : les peuples soumis devaient adhérer à la supposée divinité de l'empereur, lequel se prétendait ...fils de Dieu, ou plus précisément fils des amours de sa mère avec un dieu. Et c'est là le sens réel de ce premier argument avancé auprès de Pilate pour justifier qu'il doive faire mourir Jésus. Et de fait, Pilate commence alors à s'inquiéter, mais peut-être parce qu'il ne croit pas trop à la sincérité de cette accusation, ou peut-être au contraire parce qu'il sent alors à la réponse de Jésus qu'il peut bien réellement être un très proche de Dieu, pour l'une ou l'autre de ces raisons donc, Pilate voudrait ne pas avoir à en tenir compte, alors on lui met les points sur les "i" : Jésus se serait bel et bien prétendu être roi, et on ira faire savoir à l'empereur la façon dont lui, Pilate, obscur préfet de ce coin perdu de l'empire a négligé ses devoirs...
En résumé : pour l'évangéliste Jean, Jésus n'a certainement pas été mis à mort pour des raisons religieuses. Les affirmations qu'il a pu faire de son vivant sur lui-même, si elles ont pu parfois être mal comprises, il les a certainement suffisamment clarifiées, puisqu'il ne s'est pas fait lapider, et le fait même qu'il ait fini sur une croix, et non sous les pierres, est le témoignage le plus assuré qu'on puisse imaginer de son orthodoxie vis-à-vis du judaïsme. Le motif de sa mort était politique et seulement politique, il s'agissait juste d'éviter ce qui se produira finalement une trentaine d'années plus tard, non seulement le temple mais tout Jérusalem rasés, et un tel massacre d'habitants qu'il est parfois considéré comme une première shoah, ce qu'on qualifierait en tout cas certainement de nos jours de génocide.
En ce sens, oui, Jésus est bien mort pour son peuple, pour son bien, et non seulement pour son peuple résidant en Israël mais aussi pour tous ceux de la diaspora, tous les Juifs résidant dans l'ensemble de l'empire, qui auraient eu eux aussi à subir une poussée d'antisémitisme, déjà récurrent à l'époque, bien avant les spécificités de l'antisémitisme chrétien.
Agrandissement : Illustration 1
(à la "résurrection" de Lazare) beaucoup parmi les Judéens
qui étaient venus auprès de Marie et avaient vu ce qu'avait fait Jésus
crurent en lui
mais certains d'entre eux s'en allèrent vers les pharisiens
et leur dirent ce qu'avait fait Jésus
alors les chefs des prêtres et les pharisiens
rassemblèrent un sanhédrin et ils disaient
« que faisons-nous ? car cet homme fait beaucoup de signes
si nous le laissons faire ainsi tous croiront en lui
et les Romains viendront
et ils nous détruiront et le lieu et la nation »
mais un d'entre eux
Caïphe — grand prêtre cette année-là — leur dit
« vous n'y voyez rien vous !
vous ne comprenez pas qu'il est avantageux pour nous
qu'un seul homme meure pour le peuple
plutôt que toute la nation ne périsse ? »
cependant ce n'est pas de lui-même qu'il a dit cela
mais étant grand prêtre cette année-là il prophétisa
que Jésus allait mourir pour la nation
et pas seulement pour la nation
mais aussi afin de rassembler dans l'unité
les enfants de Dieu qui avaient été dispersés
alors de ce jour-là ils furent résolus à le tuer
aussi Jésus ne circulait-il plus ouvertement parmi les Judéens
mais il s'en alla de là vers la région proche du désert
dans une ville appelée Ephraïm et il demeura là avec les disciples
or elle était proche la Pâque des Judéens et avant la Pâque
beaucoup montèrent du pays à Jérusalem afin de se purifier rituellement
et ils cherchaient Jésus
et se disaient les uns aux autres en se tenant dans le temple
« quel est votre avis ? qu'il ne viendra pas du tout à la fête ? »
car les chefs des prêtres et les pharisiens
avaient donné des ordres pour que si quelqu'un savait où il était
il le rapporte pour qu'ils l'arrêtent
(Jean 11, 45-57)