S'il était encore besoin de le confirmer, nous sommes bien dans un contexte de persécutions, ce qui ne correspond pas du tout à l'envoi en mission des Douze du vivant de Jésus, mais nous n'allons pas revenir sur cette distinction à faire ; voilà, c'est un discours qui s'adresse aux premiers chrétiens, en butte ici essentiellement aux autorités religieuses du judaïsme (avant la prise de Jérusalem et sa destruction par les romains), ou peut-être même encore plus tard, lors de la scission entre le rabbinisme et les adeptes de Jésus, puisque cette accusation contre Jésus de faire le jeu de Béelzeboul, ce sont plutôt les pharisiens qui la lui avaient lancée, alors qu'il n'en a pas du tout été question lors de son arrestation et sa condamnation par le sanhédrin de Jérusalem.
Qui fait réellement ces recommandations à ces premiers chrétiens, à ces Juifs en fait qui se déclarent "pour" Jésus devant leurs coreligionnaires ? le plus vraisemblable est qu'il s'agit de Matthieu, ou dit autrement des premiers responsables de ces communautés qui s'estiment juives au même titre que tout Juif, mais qui vont bientôt se faire exclure du sein du judaïsme, exclure de "leurs" synagogues ; il s'agit ici de cette guerre fratricide. Ceux qu'il s'agit de ne pas craindre, ceux auxquels il s'agit de clamer haut et fort que Jésus est bien le messie, ceux qui peuvent tuer le corps (mais pas l'âme), ce sont ces frères, parfois même biologiquement frères du même père. Il fallait qu'ils estiment vraiment très importante la révélation qu'ils avaient reçue de Jésus pour qu'ils estiment secondaire d'avoir ainsi à en témoigner, jusque y compris par leur sang versé.
Qui peut tuer l'âme, pas sûr que ce soit vraiment une personne ni même un être quel qu'il soit, encore moins sûr donc qu'il faille lui donner un nom, c'est plutôt simplement le fait de ne pas suivre ces préceptes donnés ici, simplement le fait de ne pas être capable de témoigner "devant les hommes" de sa foi jusqu'au martyre, puisque alors c'est Jésus lui-même qui nous reniera devant Dieu. Tuer l'âme, c'est tout simplement nous-mêmes qui le faisons chaque fois que nous renions ce qui fait de nous des êtres humains, ou si on préfère chaque fois que nous refusons de devenir ce à quoi nous sommes appelés en tant qu'êtres humains. C'est renier la vie dans l'Esprit, à laquelle ces premiers chrétiens avaient accédé grâce à Jésus. Mais peu importe en fait, et heureusement, par quelle voie nous y accédons ; cette vie dans l'Esprit est la vocation de tous en tout lieu de tout temps, c'est cela être humain, être cet animal particulier seul apte à la vie dans l'Esprit.
Si on se demande alors s'il est possible d'être chrétien (ou musulman, ou juif, ou bouddhiste, ou hindouiste, ou taoïste, ou animiste, ou...) sans se préoccuper de cette vie dans l'Esprit, c'est seulement qu'on n'a pas encore vraiment compris ce qu'est d'être humain... mais ce n'est pas un reproche, juste un appel, un témoignage, et le témoin n'en est sans doute pas encore bien assuré, il faut l'en excuser, et s'efforcer d'entendre ce dont il parle si maladroitement bien malgré lui.

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un disciple n'est pas au-dessus de son maître
ni un serviteur au-dessus de son seigneur
il suffit au disciple de devenir comme son maître
et le serviteur comme son seigneur
si ils appellent le maître de maison Béelzeboul
combien plus les membres de sa maison !
mais ne les craignez pas
car rien n'est caché qui ne sera révélé
ou secret qui ne sera connu
ce que je vous dis dans l'obscurité
redites-le dans la lumière !
et ce vous entendez à l'oreille
clamez-le sur les toits !
et n'ayez pas peur de ceux qui tuent le corps
mais qui ne peuvent pas tuer l'âme
mais craignez plutôt qui peut anéantir
et l'âme et le corps dans la géhenne
deux moineaux ne sont-ils pas vendus un sou ?
et aucun d'eux ne tombera au sol
à l'insu de votre père
or même les cheveux de votre tête sont tous comptés
donc n'ayez pas peur !
vous valez plus que de nombreux moineaux
aussi quiconque se déclarera pour moi
devant les hommes
je me déclarerai moi aussi pour lui
devant mon père qui est dans les cieux
mais qui me reniera
devant les hommes
je le renierai moi aussi
devant mon père qui est dans les cieux
(Matthieu 10, 24-33)