Billet original : Pas ci pas ça
« A qui assimiler cet âge ? Il est semblable à des gamins assis sur les places publiques. Ils interpellent les autres. Ils disent : “Nous avons joué de la flûte pour vous, et vous n'avez pas dansé ! Nous avons chanté des complaintes, et vous ne vous êtes pas lamentés !”
« Eh oui ! Viens Jean sans manger ni boire. Et ils disent : “Il a un démon !” Vient le fils de l'homme, il mange et boit. Et ils disent : “Voici un homme glouton et buveur de vin, ami des taxateurs et des pécheurs !” Mais la Sagesse a été justifiée par ses œuvres. »
Matthieu 11, 16-19
C'est la suite du texte d'hier, et nous poursuivons donc notre exploration du personnage de Jean Baptiste, en lien avec Jésus. Aujourd'hui, il semble à première vue que ce soient simplement les styles des deux figures qui sont comparés. Jean était un ascète de l'extrême. Se nourrissant de très peu, passant vraisemblablement la plupart de son temps en prières et exercices de mortification, il interpellait ses contemporains avec une grande sévérité. On sait, par Flavius Josèphe, qu'il a eu un succès certain, mais sûrement plus auprès du petit peuple que des autorités religieuses ! Ce sont ces dernières qui sont principalement visées, comme étant ces "autres" qui n'ont pas voulu "se lamenter" en réponse à son appel à la pénitence, se justifiant en l'accusant d'avoir un démon. Il est certain que le message de Jean remettait pas mal en cause le système établi. Les attentes de la venue du Royaume étaient peu ou prou partagées par tous, mais la plupart le voyaient plutôt comme un acte de justice accordé par Dieu à son peuple pour sa fidélité, certains en étant même tellement persuadés qu'ils étaient prêts à prendre les armes, sûrs que Dieu serait avec eux pour leur donner la victoire. Un Jean qui vient là-dessus, affirmant que, si le Royaume n'est pas encore là, c'est à cause des péchés de ce peuple 'élu', et, par sa proposition de baptême, invalidant radicalement l'institution du Temple avec tout son système sacrificiel, ne pouvait que heurter de front au moins ceux qui tenaient leur aisance financière, et leur pouvoir, de cette institution.
Cette remise en cause de l'institution du Temple n'était pas propre à Jean. Les pharisiens, déjà, sans aller aussi loin que Jean, avaient eux aussi relativisé son importance (même si c'était plutôt initialement pour des raisons de pure politique). Le psaume 51(50) le disait déjà, il y avait tout un courant de pensée qui comprenait qu'il était un peu facile de racheter ses fautes par des sacrifices... Jean, donc, en proposant son baptême "pour le pardon des péchés", inaugure une autre voie où, ce qui importe, est de se repentir sincèrement et prendre la ferme résolution de changer de vie, et on imagine bien que sous son regard impitoyable les fraudeurs ne devaient pas être légion ! Jésus a été séduit par le discours de Jean, au point de faire partie du cercle restreint de ses disciples, de ceux qui ne se contentaient pas de repartir dans leur vie en la réformant, mais qui avaient adopté son style de vie, s'adonnant eux aussi aux prières et mortifications, pour faire pénitence au nom du peuple, et faire advenir le Royaume. Seulement voilà, au cours de cette période, ce Dieu auquel il s'était dévoué s'est révélé à lui d'une manière dont il ne s'était jamais révélé auparavant à aucun de ses ancêtres dans le peuple juif : le Père. Et peu à peu, sans doute à la faveur de l'arrestation de Jean par Hérode, Jésus a fait évoluer le message de Jean, d'autant que vont commencer à se produire les guérisons, faisant penser à Jésus, comme aux foules, que c'était le Royaume tant attendu qui commençait.
Et voilà notre Jésus, poussé par de toutes autres ailes que celles de Jean, enthousiasmé au sens propre (étymologiquement : "en-thous", "en Dieu"). Pourquoi parler encore de pénitence quand Dieu guérit, console, nourrit même ? Comment faire encore mine de triste sire et refuser les plaisirs de la bonne chère et du fruit de la vigne qui réjouit le cœur de l'homme ? Mais évidemment ceux qui n'ont rien à gagner dans cette histoire, ceux qui sont en bonne santé et dont le 'portefeuille' est bien garni, regardent tout ça de loin, méfiants et soupçonneux, ils ne peuvent y croire. Et puis ce genre de Royaume est bien gentil, mais si vous croyez que c'est ce qui va faire partir les romains ! au contraire, ils vont finir par s'irriter de toute cette agitation, et ça ne sera pas bon pour la nation. Ce dernier argument est sans doute plus spécifique aux sadducéens, ceux qui évoluent dans les hautes sphères politico-religieuses, et dont la préoccupation principale en l'occurrence est de veiller à leurs intérêts personnels, mais qui n'en ont pas moins raison dans les faits. Jésus s'en rendra compte aussi, au moins à la multiplication des pains quand la foule en délire voudra l'emmener de force à Jérusalem pour le mettre sur le trône. Mais c'est une autre histoire.
Nous retrouvons donc ce que nous disions hier, avec un nouvel éclairage. Jean est bien celui qui a préparé la venue de Jésus. En un sens bien plus précis que d'avoir préparé le peuple, on peut dire qu'il a préparé Jésus lui-même. Jésus est passé par l'école de Jean, c'est ce que symbolise son baptême, à la fois baptême de Jean, baptême d'ascèse et d'austérité, et à la fois bien au-delà, mais par lui quand même, baptême de feu, baptême de l'Esprit, auquel Jean n'avait sans doute pas pensé, et qu'il n'a en tout cas certainement pas compris. Les doutes de Jean dans sa prison montrent sans ambiguïté qu'il n'avait pas idée de ce qui s'était produit pour Jésus. On peut même douter que Jésus ait reçu la révélation du Père au moment précis du geste du baptême par Jean. C'est un récit symbolique. Mais qui nous confirme, s'il en était besoin, que la naissance du Christ en nous, l'entrée dans le Royaume, ne nous tombera pas dessus par hasard. Elle est bien comme un cadeau, un don, que nous ne saurions acheter, mais un cadeau, un don, qui ne nous échoira quand même que si nous l'avons auparavant cherché. Certains, parfois, en ont pourtant l'impression, ils se demandent pourquoi ils ont eu cette chance à laquelle ils n'avaient pas même songé. Effectivement, Dieu fait bien ce qu'il veut. Mais nous, qui le souhaitons, n'avons-nous pas tout intérêt à mettre toutes les chances de notre côté, en faisant tout notre possible ? et Lui nous donnera bien au-delà.