« Es-tu le messie ? — moi et le Père sommes un » : ce n'est certainement pas à ça que s'attendaient les interlocuteurs de Jésus en lui posant cette question. Le messie, c'est censé être un prophète, aussi grand que Moïse, et les spéculations peuvent avoir brodé, peuvent broder encore de nos jours, sur cette base-là. Certains pensent qu'il pourrait être Élie, le prophète monté tout vivant au ciel, que ce pourrait être lui revenant sur terre ; ce serait effectivement déjà un peu plus qu'un prophète au sens strict. Et l'imagination peut certainement broder encore beaucoup plus loin, mais jamais au grand jamais le messie ne pourrait-il être ...Dieu lui-même ! Alors ce "moi et le Père sommes un" ?
Aux yeux de ses interlocuteurs, c'est pourtant bien ce que fait là Jésus, il affirmerait bien par là qu'il est Dieu lui-même, et la suite logique s'en suit, ils "apportent des pierres pour le lapider". C'est le blasphème suprême, il n'est pas possible de laisser dire cela, et il faut reconnaître que dans la suite de l'échange Jésus n'est pas vraiment convainquant. Il commence par invoquer le psaume où YHWH dit aux Juifs "vous êtes des dieux", mais être des dieux, ce n'est pas la même chose que être Dieu. Être des dieux signifie qu'on participe de la nature divine, ce que disait déjà le récit du jardin d'Éden : c'est en insufflant en lui son Esprit que Dieu a donné la vie à Adam, nous avons cet Esprit en nous, ceci fait partie de notre nature.
Mais nous ne pouvons évidemment pas pour autant aller jusqu'à nous identifier à Dieu lui-même. De même, si Jésus a pu s'affirmer à plusieurs reprises être fils de Dieu, par là n'a-t-il jamais dit rien d'extraordinaire, tous les Juifs se considèrent comme des fils de Dieu, ce n'est pas non plus du tout la même chose que de se prendre pour Dieu lui-même, c'est là aussi une évidence. La suite de la discussion ne nous éclairera donc pas sur le fond du problème : est-ce que en disant "le Père et moi sommes un" Jésus s'est effectivement identifié à Dieu, a-t-il proféré le blasphème suprême, a-t-il succombé au péché qui ne peut être pardonné ?
Sans suspense, mais peut-être au risque de surprendre certains chrétiens, il faut répondre que non, cette phrase ne signifie pas que Jésus se prendrait pour Dieu, il ne s'identifie pas à lui, il ne dit pas "je suis Dieu". Il suffit de savoir lire. "moi et le Père" : il y a un "et", il y a "moi" et il y a "le Père", ce sont deux personnes, deux êtres. Et que ces deux personnes soient dites être "un" ne signifie pas qu'elles s'identifient l'une à l'autre, seulement qu'elles sont unies, mais tout en restant distinctes. Là-dessus les fondements dogmatiques du christianisme sont clairs, en Jésus il y a deux natures, l'humaine et la divine, et on ne peut pas identifier l'une à l'autre, l'homme Jésus n'est pas le dieu qu'il est pourtant aussi.
Cette dérive par laquelle, dans la pratique, les chrétiens ne font plus la différence entre les deux va loin puisqu'on la trouve même dans leur "credo", quand ils affirment qu'ils croient en Dieu (...) qui est mort ! Ils n'y font même pas attention, mais c'est bien pourtant ce qu'ils affirment tous les dimanche... Bien sûr, dans leur tête, ils ne croient pas que ce qu'ils appellent le Fils, Dieu le Fils, soit mort, c'est bien seulement l'homme Jésus qui est mort, mais c'est pourtant quand même ce que dit cette profession de foi, et c'est là malheureusement typique du mélange inconscient qu'ils font de manière générale au sujet de Jésus, identifiant donc bien, finalement, l'homme à la dimension divine qui était effectivement en lui, comme en nous tous, mais qui n'est certainement pas le tout de ce que je suis, ni pour lui ni pour moi...
Agrandissement : Illustration 1
arriva alors la Dédicace à Jérusalem
c'était l'hiver et Jésus marchait dans le temple
dans le portique de Salomon
or les Judéens l'encerclèrent
et ils lui disaient
« jusqu'à quand soulèveras-tu notre âme ?
si tu es le messie dis-le nous franchement ! »
Jésus leur répondit
« je vous l'ai dit mais vous ne croyez pas
les œuvres que moi je fais au nom de mon Père
ce sont elles qui témoignent pour moi
mais vous ne croyez pas vous
parce que vous n'êtes pas de mes brebis
mes brebis à moi entendent ma voix
et moi je les connais
et elles me suivent
et moi je leur donne la vie éternelle
et pour l'éternité elles ne se perdront pas
et personne ne les ravira de ma main
mon Père qui me les a données
est plus grand que tous
et personne ne peut ravir de la main du Père
moi et le Père sommes un »
(Jean 10, 22-30)