Il s'agit de ne pas se contenter d'entendre et d'approuver, voire d'admirer, il s'agit surtout de faire, mettre en œuvre, les paroles reçues. Et ces paroles, sous de diverses formes, ce qu'elles nous disent, ce à quoi elles nous invitent, c'est à entrer dans le royaume, le règne, de Dieu ou des cieux, c'est-à-dire d'accéder à cette réalité qui est à la fois au-delà et en-deçà de la dimension spatio-temporelle, matérielle, de notre existence dans cet univers. Et ceci se fait en sortant de soi-même. Non pas en pétant un câble, ni en battant la campagne, mais en s'ouvrant aux autres et à l'Autre, deux chemins qui peuvent sembler différents, mais qui se rejoignent, donc peu importe, chacune et chacun d'entre nous peut suivre ses préférences en la matière.
S'ouvrir à l'Autre, c'est le chemin dont parle essentiellement l'évangile de Jean, avec notamment ce qu'il appelle dans l'entretien avec Nicodème la seconde naissance. S'ouvrir aux autres, c'est le chemin dont tous, les quatre évangiles, parlent, mais peut-être encore plus particulièrement Luc, c'est le chemin de l'attention, de la bienveillance, de la compassion, pour tous et tout spécialement les plus petits, les plus pauvres, les plus fragiles, la parabole du bon Samaritain en étant sans doute la plus emblématique.
Le point le plus délicat, dans l'un comme l'autre chemin, c'est que sortir de soi-même suppose que ce ne soit pas soi-même qui en soit à l'origine, à l'initiative. On peut très bien devenir un spécialiste de la charité, la charité peut devenir notre business, ce sera notre réputation, presque inscrite sur notre carte de visite ou notre front, l'image que nous donnerons aux autres et à nous-même, et l'objectif visé, non seulement sera loupé, mais on aboutira même à l'inverse exact de ce qui aurait dû être : notre ego en sera devenu encore plus boursouflé qu'il ne l'était auparavant. L'ouverture aux autres ne s'organise pas, ne se programme pas, ne se prévoit pas, ce sont eux qui viennent nous surprendre et nous bousculer, et eux qui nous lancent des appels, et nous, nous les prenons seulement au bond, ou pas.
Et il en va de même dans l'ouverture à l'Autre. Sans cesse nous croyons le cerner, le définir, mais lui vient nous bousculer, chambouler les beaux édifices que nous nous construisons à son sujet, si nous savons l'écouter. Être, juste être, non pas être madame ou monsieur untel, non pas être enfant et conjoint et parent d'unetelle ou d'untel, non pas être ouvrier ou cadre ou artisan, non pas être fan de telle équipe sportive ou telle vedette du star système ou tel penseur ou telle personnalité politique, non, rien de tout cela, mais juste être, et même pas être soi. Être, simplement, être vivant, être pensant, traversé par des pensées sans s'y attacher, sans s'y identifier, juste être. Même pas être femme ou homme ou autre genre... Être. Point.

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car il n'y a pas d'arbre bon qui fasse du fruit mauvais
et non plus d'arbre mauvais qui fasse du fruit bon
car chaque arbre se reconnaît à son propre fruit
car on ne cueille pas de figues sur des chardons
ni ne vendange du raisin sur des ronces
l'homme bon produit du bon du bon trésor du cœur
et le mauvais produit du mauvais du mauvais
car c'est d'un trop-plein du cœur que parle la bouche
alors pourquoi m'appelez-vous
"seigneur ! seigneur !"
et ne faites-vous pas ce que je dis ?
quiconque vient vers moi et entend mes paroles et les fait
je vais vous indiquer à qui il ressemble
il ressemble à un homme bâtissant une maison
qui a creusé profondément
et posé les fondations sur le roc
puis une crue est survenue
et le torrent s'est rué sur cette maison
et n'a pas été assez fort pour l'ébranler
parce qu'elle avait été bien bâtie
mais qui entend et ne fait pas
ressemble à un homme ayant bâti une maison
sur la terre sans fondations
le torrent s'est rué sur elle
et aussitôt elle s'est effondrée
et la ruine de cette maison fut grande
(Luc 6, 43-49)