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Billet de blog 13 novembre 2014

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Qu'est-ce qu'on attend ?

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Billet original : Qu'est-ce qu'on attend ?

Il est interrogé par les pharisiens : « Quand vient le royaume de Dieu ? » Il répond et leur dit : « Le royaume de Dieu ne vient pas de façon à être épié.  Ils ne diront pas : "Voici, ici !" ou : "Là !" car, voici : le royaume de Dieu est au milieu de vous. » 

Il dit aux disciples : « Viendront des jours où vous désirerez voir un seul des jours du fils de l'homme, et vous ne verrez pas !  Ils vous diront : "Voici : là ! Voici : ici !" N'y allez pas ! Ne vous précipitez pas ! Car de même que l'éclair éclairant resplendit depuis un point sous le ciel jusqu'à un point sous le ciel, de même sera le fils de l'homme en son jour. 

« Mais d'abord il doit souffrir beaucoup et être rejeté par cet âge. »

Luc 17, 20-25

Il ne faut pas se laisser abuser par la similarité des expressions "Le voilà : il est ici ! il est là" qu'on trouve dans ces deux péricopes, pour penser qu'elles parlent de la même chose. Ce n'est pas le cas. La première nous parle du Royaume, et c'est pour nous dire que le Royaume est déjà là. La seconde nous parle du "jour du fils de l'homme", c'est-à-dire du jour du retour définitif de Jésus, événement qui, lui, est attendu dans le futur. Il est certain que, pour les premiers chrétiens, ces deux concepts, le Royaume et le retour de Jésus, n'en faisaient qu'un. Et pourtant, nous voyons dans cette première péricope que ce n'est pas si simple. Il faut noter que Luc seul a cette première péricope, alors qu'on retrouve la seconde aussi chez Matthieu (24, 23-27). Il n'y a en fait pas vraiment de surprise à constater ce décalage entre les conceptions que se faisaient les premiers chrétiens du Royaume, lorsqu'ils l'ont renvoyé dans un futur hypothétique en l'assimilant au retour final de Jésus, et la conception que s'en faisait Jésus, telle qu'elle se trouve exprimée avec le plus de netteté dans cette première péricope du texte du jour.

Les disciples de Jésus, de son vivant, n'ont effectivement jamais su 'décoller' de leur conception classique, juive, d'un Royaume comme événement collectif universel. Pas plus de son vivant, pas plus non plus après sa mort : avec les événements qu'ils ont appelés la résurrection, ou la venue de l'Esprit, ils n'ont pas vraiment changé de paradigme au sujet du Royaume. Dans un premier temps ils ont pensé qu'ils étaient dans ce Royaume, que la résurrection de Jésus, et ce qu'ils considéraient comme étant sa présence avec eux, en était le signe inaugural. Mais ensuite, voyant que le monde entier (ou Israël entier) ne se convertissait pas à leur foi, ayant aussi le sentiment logique que Jésus était donc moins présent, ils ont élaboré le schéma sur lequel est resté par la suite le christianisme : Jésus est reparti "au ciel", mais il reviendra un jour, et ce sera alors, et seulement alors, le Royaume. On est bien resté sur une notion du Royaume comme événement collectif universel, et futur.

Jésus lui-même, dans les débuts de son ministère, en Galilée, était sans doute lui aussi sur une telle conception du Royaume. Il y avait d'une part sa propre relation intime à Dieu, et d'autre part tous ces signes, les guérisons exorcismes, qui se produisaient, ce qui correspondait aux textes qui prophétisaient la venue de ce Royaume. Mais Jésus a certainement changé par la suite de conception, après le tournant de la multiplication des pains. Il avait toujours sa relation avec le Dieu Père, mais il avait été obligé de constater que les gens, par contre, les foules comme les disciples, n'étaient pas entrés, comme lui, dans une relation similaire avec ce même Dieu... Le Royaume, tel que décrit dans les textes, tel que l'attendaient ses coreligionnaires, avec sa dimension très politique et terrestre, ce n'était pas ce Royaume dans lequel, lui, vivait. C'est, je crois, ce dont nous parle précisément cette première péricope du jour : "le Royaume de Dieu est en vous". La plupart des traductions disent "au milieu de vous", ce qui est une lecture possible du texte grec en extrapolant quelque peu, mais le sens le plus assuré et immédiat est bien "en vous".

Il est peut-être important d'éclaircir ce point précis. La préposition ἐντός (entos) n'a qu'une signification possible : à l'intérieur de. Ce qui permet à la plupart des traductions de le rendre pas "au milieu de vous" ou "parmi vous", c'est qu'elles considèrent que le "vous" doit être pris uniquement dans un sens collectif. En ce cas, effectivement, pour dire que le Royaume est dans le nous collectif, on a intérêt à traduire qu'il est au milieu ou parmi nous. Ce n'est donc pas impossible de comprendre ainsi cette phrase, mais ce n'est pas très logique non plus. Si c'était ce qu'avait voulu dire l'auteur, il aurait dû utiliser la préposition μετά (meta) qui signifie précisément "au milieu de, parmi"... C'est en réalité la timidité des traducteurs, qui leur fait recourir à une telle extrapolation plutôt tirée par les cheveux. Le sens le plus logique est "en, à l'intérieur de" chacun de nous. Il est difficile de se débarrasser de deux millénaires de tradition ! Les églises acceptent pourtant maintenant l'idée d'un Royaume qui ne soit pas que dans le futur, donc déjà partiellement commencé, mais, que je sache, elles ne sont pas encore passées de sa dimension uniquement collective à une dimension qui soit aussi, et peut-être avant tout, individuelle. C'est pourtant ce que dit ce texte de Luc. Le Royaume est à l'intérieur de chacun de nous, chacun de nous peut l'y trouver, y entrer, et habiter.

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