Voici la fin de ce discours de Matthieu censé avoir été adressé par Jésus aux Douze pour une mission de son vivant. Il apparaît donc qu'il s'agit en réalité d'un discours s'adressant à tout disciple, et non aux Douze seulement. Comme le sermon sur la montagne était censé s'adresser aux foules d'une manière générale, celui-ci concerne ceux qui ont adhéré à la personne de Jésus et qui sont alors appelés à témoigner à leur tour de ce qu'ils vivent désormais de la même manière que leur maître, à savoir de leur filiation divine, tous "Fils" (ou "Filles", comme on pourra préférer le dire) du même "Père" (ou de la même "Mère", même remarque) parce que vivant tous du et dans le même "Esprit". Ainsi, quand il est question ici de perdre et trouver sa vie "à cause de lui (Jésus)", il faut comprendre simplement qu'on parle de la perdre et de la trouver de la même manière que lui.
Mais de quoi s'agit-il exactement dans cette sentence, qu'on trouve aussi une seconde fois dans Matthieu un peu plus loin (16, 25) ainsi que chez Marc (8, 35) et Luc (9, 24), ces autres versions ayant quelques petites nuances. Chez Marc comme chez Luc, il n'est pas question de "gagner" sa vie mais de la "sauver" : "qui voudra sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie (à cause de moi) la sauvera" ; et dans la seconde version de Matthieu un mélange des deux : "qui voudra sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie (à cause de moi) la trouvera". "Trouver" ou "sauver" : la nuance n'est que de savoir si cette vie, contrairement à ce qu'on s'imagine, on l'a déjà, ou dit encore autrement, si ce qu'on croit être notre vie est bien la vraie vie, et non pas juste un faux-semblant. En sorte qu'on en revient encore et toujours au même sujet : la seconde naissance, celle à la vraie vie, la vie de et dans l'Esprit...
Ainsi cette formule devient-elle parfaitement claire : si je crois avoir trouvé ma vie en me basant uniquement sur ce qui me semble bon pour moi, une telle vie cependant n'est pas la vraie vie, c'est la vie que je partage avec tout ce qui vit dans l'univers, avec tous les végétaux et tous les animaux, et cette vie-là, je le sais, nous le savons tous, elle se termine par la mort, et si je veux qu'il n'en soit pas ainsi, si je veux que la mort ne soit pas la fin de ma vie, il s'agit alors que je me mette en quête d'autre chose, que je me détache donc de cet objectif — légitime en soi du fait de notre origine animale, mais non suffisant —, qu'est mon propre bien comme seul horizon, et ce n'est pas simple du tout, car je vais vite me rendre compte qu'en voulant le bien des autres aussi, c'est encore très souvent, d'une manière plus subtile mais bien réelle, mon propre bien que je vise ; mais c'est quand même déjà un mieux...
Au final, il semble que cette entrée dans la vraie vie, nous ne pouvons que la recevoir, ce qui peut nous approcher dangereusement du concept de prédestination, selon lequel ce serait donc ultimement l'arbitraire absolu de Dieu qui déciderait de qui sera sauvé et qui ne le sera pas, mais un tel concept n'est évidemment pas recevable. Nous reste alors de faire de toutes façons tout ce que nous pouvons par nous-mêmes pour nous détacher de nous-même. Et on peut noter alors que ce que j'ai traduit ici par le mot "vie", comme le font la quasi totalité des traductions françaises, est en fait le mot grec "psyché", lequel a quand même plutôt le sens de "âme", en sorte que la sentence nous parle de perdre son âme si on veut la sauver : difficile à comprendre quand, même le catéchisme officiel de l'Église catholique, affirme que nous serions composés d'un corps mortel et d'une âme... immortelle !
Mais ceci se réfère évidemment à l'anthropologie hébraïque, l'anthropologie biblique qui est bien celle aussi des évangiles et de tout le "nouveau testament", selon laquelle nous ne sommes pas seulement corps et âme, mais corps, âme et esprit, et c'est l'esprit en nous (qui n'est autre que l'Esprit même de Dieu) qui est, non seulement immortel mais bien évidemment éternel, en sorte que, oui, notre âme, notre psychisme, comme notre corps, sont bien mortels, et le mystère de notre survie éventuelle après leur mort appartient entièrement à Dieu.

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« ne pensez pas que je sois venu instaurer la paix sur la terre !
je ne suis pas venu instaurer la paix mais l'épée
car je suis venu séparer
un homme contre son père
et une fille contre sa mère
et une bru contre sa belle-mère
et ennemis de l'homme ceux de sa maison
qui aime père ou mère
au-dessus de moi
n'est pas digne de moi
et qui aime fils ou fille
au-dessus de moi
n'est pas digne de moi
et qui ne prend pas sa croix
et ne suit pas derrière moi
n'est pas digne de moi
qui a trouvé sa vie la perdra
mais qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera
qui vous reçoit me reçoit
et qui me reçoit reçoit qui m'a envoyé
qui reçoit un prophète en tant que prophète
recevra un salaire de prophète
et qui reçoit un juste en tant que juste
recevra un salaire de juste
et qui donnera à boire rien qu'une coupe d'eau fraîche
à un de ces petits en tant que disciples
amen ! je vous dis qu'il ne perdra pas son salaire »
et quand il eut fini de donner ses instructions
à ses douze disciples
il arriva que Jésus partit de là
enseigner et proclamer dans leurs villes
(Matthieu 10,34 - 11,1)