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Billet de blog 15 septembre 2014

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Toujours plus loin

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Billet original : Toujours plus loin

Quand il a achevé toutes ses paroles aux oreilles du peuple, il entre dans Capharnaüm. 

Un serviteur d'un chef de cent allait mal : il était sur le point de périr. Lui l'avait en grande estime. Il entend parler de Jésus. Il envoie vers lui des anciens des juifs, le solliciter de venir sauver son serviteur. Ils arrivent auprès de Jésus. Ils le supplient avec insistance, en disant : « Il est digne que tu lui offres cela. Car il aime notre nation : la synagogue, c'est lui qui l'a bâtie pour nous. » 

Jésus va avec eux. Déjà il n'est plus éloigné à grande distance de la maison ; le chef de centaine délègue des amis pour lui dire : « Seigneur ! Ne te fatigue pas ! Car je ne mérite pas que tu entres sous mon toit. Aussi moi-même je ne me suis pas jugé digne de venir vers toi. Mais dis, d'une parole, que mon garçon soit rétabli ! Car moi, je suis un homme placé sous une autorité, j'ai sous moi des soldats. Je dis à l'un : "Va", – et il va. À un autre : "Viens", – et il vient. Et à mon serviteur : "Fais cela", – et il fait. » Jésus entend ces mots, et il l'admire. Il se retourne vers la foule qui le suit et dit : « Je vous dis : même en Israël, une telle foi, je ne l'ai pas trouvée ! » 

En revenant au logis, les délégués trouvent le serviteur en bonne santé.

Luc 7, 1-10

Cet épisode présente quelques particularités spécifiques intéressantes à relever. Il est rapporté aussi par Matthieu (8, 5-13), mais pas par Marc. Il proviendrait donc normalement de la source Q. Mais c'est un des très rares événements, quatre exactement, rapportés par cette source, qui ne comprend par ailleurs que des sentences, même pas de paraboles. Encore, parmi les autres événements rapportés par la source Q, figurent le baptême de Jésus et sa retraite au désert, qui sont tellement chargés de théologie qu'on hésite à parler d'événements au sens strict. Figure enfin dans ces 'événements' l'exorcisme de Luc 11, 14 (// Matthieu 12, 22-23) qui sert surtout à introduire la controverse qui suit, à savoir si Jésus ne tiendrait pas son autorité de satan. Nous sommes donc d'emblée incités à considérer cet épisode de guérison comme étant lui aussi hautement symbolique. Mais de quoi ? à priori ce devrait être d'une certaine ouverture de la portée de la mission de Jésus au-delà d'Israël seul, puisque le centurion est un païen. Oui, mais : c'est un thème radicalement étranger à la source Q ! Ajoutons pour compliquer encore les choses que Jean (4, 46-54) a, de son côté, une guérison du fils d'un fonctionnaire d'Hérode, présentant tant de points communs avec celle du serviteur ou garçon du centurion, qu'on peut difficilement imaginer que les deux histoires n'aient pas une origine commune.

Alors, fonctionnaire d'Hérode, ou centurion ? Le fait que l'ouverture de l'évangile aux païens ne soit pas un thème de la source Q nous inciterait à choisir le fonctionnaire, à priori juif. Mais on ne peut guère croire non plus à une coïncidence si Matthieu et Luc parlent tous deux d'un centurion. Le fonctionnaire sert les intérêts de Jean qui, à côté d'une ouverture caractéristique de son évangile aux Samaritains, ne manifeste par contre, lui non plus, aucune ouverture vers le monde païen. Difficile de conclure, donc, pour l'instant. D'un côté, avec le fonctionnaire, l'épisode pourrait avoir fait partie de la source Q, mais on se demande alors quelle était sa fonction symbolique si importante pour justifier sa présence en tant qu'un des rarissimes récits événementiels. De l'autre côté, le centurion commun à Matthieu et Luc orienterait vers une source autre que Q, dont Jean aurait eu connaissance lui aussi (on ne sait déjà pas s'il connaissait Q, mais pourquoi pas), et dont il aurait remplacé le centurion par un fonctionnaire pour ne pas avoir à parler des païens qui ne l'intéressaient pas. En ce cas, reste comme explication pour comprendre pourquoi cet épisode a retenu l'attention de Jean (dont l'évangile, faut-il le rappeler, ne comprend que très peu d'événements se déroulant en Galilée et rapportés par les synoptiques), le seul fait que la guérison se soit opérée à distance.

Du point de vue de Matthieu et Luc, cette distance entre Jésus et le malade, le fait que Jésus ne le voit pas, ne sait même pas qui il est ni à quoi il ressemble, est justifiée par le fait que, le centurion étant païen, selon les règles de pureté, Jésus ne devrait pas pénétrer dans sa maison. Les deux évangélistes ont bien tenu compte de cette raison, même s'ils l'ont traitée différemment, mais pour les deux aussi, cette particularité imposée par les circonstances est en même temps hautement symbolique de l'extension de l'évangélisation à ce domaine plus éloigné que sont les païens. Ce sont à la fois le miracle de Jésus qui prend plus d'éclat, par la distance, et le fait que l'annonce de l'évangile vaut aussi pour les païens qui est considéré comme une bonne nouvelle, plus grande encore que si seuls les juifs avaient été concernés. Cette dimension est donc complètement absente chez Jean, qui n'a visiblement retenu l'épisode que pour la glorification de la puissance de Jésus, thème qui est très important pour lui. Dans ce sens, Jean a amplifié encore par rapport à Matthieu et Luc. Chez ces derniers, la demeure du centurion se trouve dans la ville où est Jésus, en l'occurrence Capharnaüm, et chez Luc Jésus n'est même plus loin de cette demeure lorsque la guérison se produit. Chez Jean, Jésus est censé être rentré de Jérusalem en Galilée, et s'être rendu à Cana, et le fonctionnaire, résidant à Capharnaüm, a fait toute la route (une journée de marche... alors que son enfant était à l'article de la mort !) pour venir plaider sa cause.

Dernières caractéristiques surprenantes de cet épisode, chez Matthieu et Luc : c'est Luc, le païen d'origine, qui a le mieux mis en valeur le 'problème' de l'impureté du centurion du fait qu'il était païen, alors qu'on se serait attendu que ce soit Matthieu, le pharisien d'origine attaché à ces règles de pureté, et inversement, c'est Matthieu qui a le plus souligné l'ouverture de la bonne nouvelle aux 'nations', alors que ce n'était pas la problématique de sa communauté, et Luc qui l'a à peine mentionnée, lui dont les communautés sont issues de ces nations ! On croirait presque que les deux versions ont été échangées à la faveur d'une double erreur de copiste...

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