Anon (avatar)

Anon

alias Xavier Martin-Prével.

Abonné·e de Mediapart

1432 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 octobre 2014

Anon (avatar)

Anon

alias Xavier Martin-Prével.

Abonné·e de Mediapart

Dictature des apparences

Anon (avatar)

Anon

alias Xavier Martin-Prével.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Billet original : Dictature des apparences

« Mais malheureux, vous, les pharisiens ! vous payez la dîme sur la menthe, la rue et toute plante, et vous passez à côté de la justice et de l'amour de Dieu ! C'est cela qu'on doit faire, sans négliger le reste. 

« Malheureux, vous, les pharisiens ! Vous aimez les premières stalles dans les synagogues et les salutations sur les places publiques. 

« Malheureux, vous qui êtes comme des sépulcres que rien ne repère : les hommes marchent dessus sans le savoir. » 

Un des hommes de loi répond et lui dit : «Maître, en disant cela, nous aussi, tu nous insultes ! » 

Il dit : « Vous aussi, les hommes de loi, malheureux ! Vous chargez les hommes de charges impossibles à porter, et vous-mêmes, d'un seul de vos doigts, vous n'effleurez pas ces charges ! »

Luc 11, 42-46

Nous abordons les malédictions proprement dites, de Luc. Hier, nous n'avions que le hors d'œuvre, c'est de circonstance puisque nous sommes censés être dans un repas :) Luc recense en tout six malédictions, quand Matthieu en a sept. Luc a une malédiction que n'a pas Matthieu. D'une manière générale, Luc a plutôt abrégé les formules, telles qu'on les trouve chez Matthieu (mais peut-être est-ce ce dernier qui les a au contraire développées ?), sauf une, que nous verrons demain. Luc, enfin, a surtout réparti ces malédictions en deux groupes de destinataires. Trois sont adressées aux pharisiens, seuls, et trois aux scribes (que Luc appelle "hommes de la loi"), quand Matthieu les adresse toutes les sept à une entité mixte qu'il appelle "scribes et pharisiens". On peut remarquer encore que les trois malédictions adressées au pharisiens par Luc sont plutôt des reproches sur leur comportement dans leur vie personnelle, tandis que les trois malédictions adressées aux scribes concernent leur responsabilité en tant qu'interprètes de la Loi, ce qui n'engage pas qu'eux-mêmes mais aussi le reste du peuple, qu'ils sont accusés ainsi d'égarer. Clairement, Luc, a voulu minimiser la charge de Matthieu contre les pharisiens, pour la focaliser surtout sur les scribes. De ce point de vue, le découpage liturgique, qui regroupe aujourd'hui les trois malédictions contre les pharisiens avec la première contre les scribes, laissant à demain seulement les deux dernières malédictions, est fort malencontreux ! soit il fallait donner les six malédictions d'affilée, soit les découper, selon leurs destinataires, en deux groupes de trois... Nous ne tiendrons donc pas compte, aujourd'hui, de la première malédiction contre les scribes.

Premier reproche aux pharisiens : le formalisme religieux par opposition à l'esprit de la Loi. C'est très précisément ce dont nous parlions hier, à propos des deux tendances du pharisaïsme, inutile donc de rappeler que ce reproche, comme les suivants, ne concerne en réalité que certains pharisiens. Les innombrables règles détaillées sont pourtant censées découler de manière plus ou moins lointaine des seuls commandements de l'amour de Dieu et du prochain... Plus ou moins, mais même si tous ces règlements peuvent être justifiés d'une certaine manière, leur légitimité ne peut en aucun cas devenir intrinsèque. Or, nous le savons bien, c'est une tendance humaine assez naturelle que de finir par les sacraliser, comme par exemple la "sainte messe de saint Pie V", et tout un tas de formes, qui ne correspondent qu'à une époque, mais qui ont fini, pour certains, par prendre force de Loi par la seule vertu de l'habitude. Dans sa version de cette malédiction, Matthieu a une image savoureuse, que n'a pas Luc : vous filtrez le moucheron et avalez le chameau ! À trop vouloir tout réglementer jusque dans les moindres détails, on finit par perdre complètement de vue l'objectif initial...

Deuxième reproche : la recherche d'une reconnaissance mondaine. Le mouvement pharisien cherchait effectivement à séduire le peuple, ne serait-ce que par calcul politique, et par opposition aux sadducéens qui, détenant fermement le pouvoir sur l'institution du Temple, ne se souciaient guère de lui plaire ou pas. Les sadducéens 'régnaient' à Jérusalem, centrés sur la source de leur manne financière, laissant le champ libre aux pharisiens dans le reste du pays, notamment à travers le réseau des synagogues, pour répandre leurs enseignements et leurs doctrines. Il y a donc une certaine vérité dans ce reproche. Oui, les pharisiens cherchaient à se gagner les faveurs de la population. Une des conséquences concrètes en est quand même qu'ils l'instruisaient, qu'ils favorisaient la connaissance des Écritures, voire l'organisation d'une certaine solidarité matérielle. Ils étaient sans doute en cela assez proches de certains mouvements populaires modernes. On pourra penser ici particulièrement à de tels mouvements musulmans qui gagnent leur reconnaissance en étant proches de la misère concrète des gens. Ceci ne devrait évidemment pas entraîner automatiquement soif d'honneurs personnels, mais reste quand même dans les faits souvent le cas, plus souvent d'ailleurs — et ce n'est pas un hasard — s'agissant de ceux auxquels s'adressait le premier reproche, que pour ceux qui ont une vision plus spirituelle de la religion...

Le troisième reproche est un peu plus compliqué à comprendre pour notre culture. Le contact avec un mort était censé être source d'impureté, non pas dans le sens prophylactique de source de maladie potentielle, mais dans le sens rituel de source de péché. Par extension du contact avec un mort, marcher sur une tombe est aussi source d'impureté. Si une tombe n'est pas signalée comme telle, elle devient donc une source d'impureté pernicieuse, puisqu'on ne sait même pas qu'on a été contaminé, et ne peut donc pas prendre en conséquence les mesure qui permettraient de se purifier... Matthieu utilise l'image du tombeau un peu différemment, ne le supposant pas invisible, mais parlant au contraire du contraste entre son apparence pimpante badigeonné de chaux, et la pourriture qu'il renferme, comparable au contraste entre une façade de justice affichée pour la galerie et un cœur rempli d'hypocrisie et d'iniquité. Le reproche de Matthieu se rapproche beaucoup du premier de Luc, sur le sens, et peut-être est-ce pour ça que Luc l'a modifié, dans une forme qui, selon lui, devait être un peu moins agressive : le tombeau ne se donne plus des airs attirants. Les pharisiens ne cherchent plus à séduire, ils sont seulement faux en eux-mêmes, sans qu'on puisse le savoir extérieurement.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.