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Billet de blog 15 avril 2025

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Pour une bouchée de pain

Dans l'évangile de Jean, il est courant d'opposer la figure de Pierre, le balourd impétueux, à Jean lui-même, le disciple idéal, que Jésus aimait ; mais ce serait oublier la troisième figure, Judas, dans le rôle de l'archétype du méchant...

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C'est une particularité bien connue que l'évangile de Jean ne raconte pas le pain et le vin partagés entre les disciples lors de ce dernier repas de Jésus ; Jean, contrairement aux synoptiques, ne raconte pas ce qu'on appelle l'institution de l'eucharistie. On peut cependant noter au sujet de cette supposée "institution", que Luc est le seul évangéliste à prétendre que Jésus aurait dit de refaire à l'avenir ces gestes "en mémoire" de lui ; ni Matthieu ni Marc n'en parlent. En fait, c'est essentiellement Paul qui a développé cette idée que Jésus aurait dit de faire ainsi, et comme Luc était un disciple de Paul, il n'est pas surprenant qu'il "confirme" ce qu'il a appris de son maître, mais le fait que ni Matthieu ni Marc n'en disent rien ne peut que poser question, pour le moins.

Et le fait alors que Jean ne raconte même pas ces partages du pain et du vin tendrait évidemment à renforcer encore ces doutes sur ce supposé mémorial qui aurait été institué par Jésus et qui a pris une telle importance par la suite dans la vie des chrétiens, y compris chez les protestants, même si eux ne vont pas jusqu'à parler de présence réelle du corps et du sang, seulement de symboles. Mais il y a encore une particularité de ce récit de Jean, très chargée de signification, c'est que très exactement au moment où Matthieu comme Marc racontent ces gestes de partage — du pain et du vin donnés par Jésus aux disciples — Jean lui nous parle de Jésus donnant une bouchée de pain trempée dans de la sauce ...à Judas seul : au lieu du vin, de la sauce, et non pas pour tous, mais pour Judas seul. La coïncidence est-elle le fruit du seul hasard ?

Et on peut continuer : au lieu qu'en consommant le pain et le vin les disciples communient au corps et au sang (autrement dit à tout l'être) de Jésus, pour Judas il se passe que, après avoir reçu son morceau de pain trempé dans la sauce, c'est Satan qui entre en lui...! On peut se demander si on n'est pas là en train d'assister en direct à la première "messe noire" ! Notons cependant que le texte ne prétend pas que le morceau de pain trempé contenait Satan, il est dit que c'est "après" le morceau que Satan entre en lui, mais ce "après" signifie quand même qu'il y a un lien entre les deux faits, si Satan n'était pas présent dans le morceau, son entrée en Judas en est quand même une conséquence.

Alors il faut bien comprendre que ce geste, de la part d'un maître de maison, de donner à manger une bouchée à un convive, est une marque d'honneur, pour le moins un geste spécifique d'amitié, et le fait que Judas accepte la bouchée devait signifier qu'il acceptait aussi l'amitié ; or, ce n'était pas le cas, ou ce n'était plus le cas : Judas était déçu par Jésus, Judas avait attendu de lui qu'il soit le messie politico-militaire que tous attendaient, mais lui au moins (il serait surprenant qu'il ait été le seul des douze dans ce cas, mais Judas dans les évangiles sert à focaliser ce à quoi sans doute la plupart d'entre eux ont en réalité participé) voyait bien que Jésus y rechignait, et c'est pourquoi il avait décidé de le mettre dans une situation où il serait obligé de prendre une décision : se laisser envoyer à l'abattoir, ou prouver au sanhédrin par un miracle sensationnel qu'il était bien le messie...

En somme, si Jean parle de Satan entrant en Judas au moment où il accepte la bouchée, c'est à cause de cette duplicité. Pourtant, Judas n'avait peut-être pas le sentiment de trahir son maître en agissant ainsi, en permettant au sanhédrin de l'appréhender, au contraire, il pouvait penser lui rendre service en lui forçant seulement légèrement la main pour qu'il réalise enfin quelle était réellement sa vocation. Comme quoi le proverbe est bien vrai : l'enfer est pavé de bonnes intentions. Je veux dire bien sûr l'enfer de sa conscience quand il réalisera ce qu'il avait fait (je ne crois pas qu'il existe de pire enfer que celui-là !)

Illustration 1

ayant dit cela Jésus fut saisi de frayeur en esprit
    et il témoigna et dit
« amen ! amen ! je vous dis que l'un de vous me livrera »
    les disciples se regardaient les uns les autres
ne sachant pas de qui il parlait
    un de ses disciples était attablé tout contre Jésus
    celui que Jésus aimait
alors Simon-Pierre lui fait un signe
pour qu'il s'enquiert de qui est celui dont il parle
    celui-ci étant ainsi penché sur la poitrine de Jésus lui dit
« seigneur ! qui est-ce ? »
    Jésus répond
« c'est celui pour lequel je vais tremper le morceau et le lui donner »
    alors ayant trempé le morceau
    il le prend et le donne à Judas fils de Simon Iscariote
et après le morceau entra alors en lui Satan
    alors Jésus lui dit
« ce que tu fais fais-le vite ! »
    mais ceci aucun des convives n'a compris pourquoi il le lui avait dit
en effet certains pensaient que puisque Judas avait la sacoche
    Jésus lui avait dit
« achète ce dont nous avons besoin pour la fête »
    ou « pour les pauvres afin de leur donner quelque chose »
alors lui ayant reçu le morceau sortit aussitôt et c'était la nuit
    
    puis quand il fut sorti Jésus dit
« maintenant le fils de l'homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui
si Dieu a été glorifié en lui Dieu le glorifiera aussi en lui-même
    et il le glorifiera immédiatement
petits enfants ! je suis encore un peu avec vous
    vous me chercherez mais comme j'ai dit aux Judéens
"où moi je vais vous ne pouvez venir vous"
    à vous aussi je le dis maintenant
je vous donne un commandement nouveau
    c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés
    pour que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres
c'est en ceci que tous connaîtront que vous êtes mes disciples
    si vous avez de l'amour les uns pour les autres
    
    Simon-Pierre lui dit
« seigneur ! où vas-tu ? »
    Jésus répondit
« où je vais tu ne peux me suivre maintenant mais tu me suivras après »
    Pierre lui dit
« seigneur ! pourquoi ne puis-je te suivre à présent ?
ma vie je la donnerai pour toi »
    Jésus répond
« ta vie tu la donneras pour moi ? amen ! amen ! je te dis
    un coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois »

(Jean 13, 21-38)

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