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Billet de blog 15 novembre 2014

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Lenteurs de la justice

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Billet original : Lenteurs de la justice

Il leur dit une parabole, qu'il leur faut toujours prier et ne pas perdre cœur.  Il dit : « Il était un juge dans une ville, qui ne craignait pas Dieu et ne respectait l'homme. Il était une veuve dans cette ville-là qui venait lui dire : "Fais-moi justice contre mon adversaire." Il ne voulait pas, un temps. Mais après, il se dit en lui-même : "Même si je ne crains Dieu et ne respecte l'homme, du fait que cette veuve me tracasse, je lui ferai justice, de peur que, sans fin, elle vienne m'assommer ! » 

Le Seigneur dit : « Entendez ce que dit le juge d'injustice ! Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? Il patiente avec eux… Je vous dis qu'il leur fera justice en vitesse ! Cependant, le fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Luc 18, 1-8

C'est une parabole propre à Luc qui nous fait penser à une autre, propre aussi à Luc (11, 5-8), celle de l'homme qui réveille en pleine nuit un ami pour lui emprunter du pain. De fait, ces deux paraboles ont en commun quelques éléments de vocabulaire uniques dans les évangiles : "Même si" je ne crains Dieu, fait écho à "Même si" il ne se lève pas par amitié. Et ensuite : "du fait" que cette veuve me tracasse, renvoie à "du fait" du sans-gêne de son ami. On note encore le verbe précis 'tracasser' : cette veuve me "tracasse", et : Ne me "tracasse" pas, déjà la porte est fermée. Ces concordances d'un vocabulaire propre à Luc, et même unique dans son évangile, dans des paraboles que lui seul nous rapporte, ne signifient pas nécessairement qu'il ait inventé ces paraboles, mais qu'il les a au moins recomposées, avec la volonté de renforcer leurs similitudes. Il y a bien sûr des différences entre les deux situations décrites : l'homme qui réveille son ami qui fait preuve d'un sans-gêne certain, par rapport à la femme qui ne demande que ce que à quoi elle a droit, et en vis-à-vis, un ami réveillé en pleine nuit qui serait bien fondé d'opposer une fin de non-recevoir, par rapport à un juge qui, lui, abuse de sa fonction pour ne pas donner suite à une demande qui lui a été faite. Mais les deux fonctionnent bien pour mener à la même conclusion : demandez, demandez et demandez, toujours et encore.

Ici, cependant, par rapport à l'autre parabole, nous avons droit à une petite explication de pourquoi il peut nous sembler que Dieu soit un peu lent à répondre : parce qu'il patiente lui aussi, comme nous. La plupart des traductions françaises, cependant, ne nous permettent pas de comprendre cette explication, parce qu'elles n'ont pas compris, voire ont fait un contre-sens en traduisant, la fin de la phrase, après "les élus qui crient jour et nuit". On trouve ainsi le plus souvent l'idée que Dieu ne tarderait pas, ne ferait pas attendre, ses élus. Une telle traduction n'est pas possible pour deux raisons. D'abord parce que le verbe utilisé en grec ne signifie pas 'tarder' ni 'faire attendre', mais 'patienter'. Ensuite parce que ce verbe n'est pas au même mode ni au même temps que le premier verbe de la phrase, "faire justice". Cette fin de phrase ne nous parle pas de ce que Dieu fera ou ne fera pas, mais de ce qu'il fait actuellement, pendant que ses élus crient vers lui : il patiente avec eux, il patiente comme eux. Lui aussi souffre, directement, de l'injustice !

Si Dieu supporte lui aussi l'injustice qui se trouve dans le monde, c'est évidemment parce qu'il est "lent à la colère et plein de miséricorde", que "ce n'est pas la mort du pécheur, qu'il veut, mais qu'il se convertisse". Ça nous fait une belle jambe, a-t-on envie de dire, si on est la victime de cette injustice ! et comment le texte peut-il ajouter dans la foulée qu'il nous fera justice "en vitesse" ? C'est bien sûr ici toute la question du mal. Pourquoi y a-t-il du mal dans le monde, pourquoi Dieu, s'il existe, le permet-il ? Je crois qu'on chercherait en vain dans les évangiles une réponse à cette question. Le seul élément d'explication qu'ils nous donnent, est celui-ci, exprimé dans ce texte et malheureusement si mal traduit (mais bien sûr exprimé aussi, et de la plus éclatante des façons, par l'acceptation de Jésus de mourir injustement), qui ne nous dit pas le pourquoi, mais le comment. Nous ne saurons pas pourquoi il y a le mal, mais comment Dieu le vit : aussi mal que nous. Non, Dieu n'est pas tout-puissant, oui il a renoncé à sa toute-puissance en nous créant, nous les êtres humains, capables de conscience et de libre-arbitre. Dieu est en nos mains.

Mais cette justice "en vitesse", alors ? c'est du pipeau ? Oui et non. Oui si on comprend la prière (rappelons-nous : c'est un enseignement sur la prière !) comme une opération visant à obtenir quelque chose d'une entité toute-puissante et extérieure à nous, bref, si on est resté sur une conception classique de Dieu. Non si on comprends que la prière a pour objectif premier, et unique même, de nous transformer, nous. Parce que, en nous transformant en nous unissant à Dieu, nous deviendrons capables de voir les choses comme lui "qui fait lever son soleil et tomber sa pluie sur les bons comme les méchants", nous deviendrons capables d'aimer jusqu'à nos ennemis. On peut discuter si ceci nous rend justice, à strictement parler. Aimer nos ennemis, vouloir, comme Dieu, patienter jusqu'à ce qu'ils se convertissent, ne fera pas nécessairement cesser leurs agissements. Nous les subirons donc encore, éventuellement. Mais si, eux, resteront dans leur injustice, pourtant, nous, saurons que nous sommes justifiés, ce qui est quand même l'essentiel de ce qu'on demande à un jugement...

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