
Il s'imposait continûment à moi que je n'allais pas avoir d'autre issue que de me suicider. En même temps, je sentais aussi que c'était comme quelque chose qui m'était étranger ; c'était en moi, je ne pouvais pas empêcher l'idée de sans cesse revenir, mais je savais aussi que ce n'était pas pour autant mon désir le plus profond.
Je dois constater que, une fois venue au jour l'histoire de cette femme qui s'était suicidée, la compulsion a quasiment disparu. Une première façon d'interpréter ce fait est de dire que la compulsion suicidaire était comme la partie émergée de l'iceberg qui se manifestait à ma conscience, je ne percevais dans un premier temps que la décision finale, sans avoir accès à ce qui l'avait motivée ni à qui elle s'était imposée dans le passé, d'où l'impression d'une idée compulsive, obsessionnelle, mais sans vrai fondement, comme erratique.
Une autre interprétation est possible, cependant : la compulsion s'est imposée à la manière d'un virus psychique, venant peu importe d'où, de quoi, ou de qui, mais de l'extérieur, et l'histoire de cette femme est le remède que j'ai dû trouver pour guérir du virus. Quand je dis "trouver", ce n'est bien sûr pas dans le sens d'inventer de toutes pièces ce qui n'aurait jamais existé, mais de déterrer, d'exhumer, mettre au jour, ce qui avait été recouvert et enfoui, ou du moins qui ne m'était pas immédiatement accessible.
Et puis, indépendamment de cette question ou sans trop de rapports, une autre se pose aussi : qui ou quoi exactement a vécu la vie de cette femme, à laquelle j'ai eu accès ? Spontanément j'ai tendance à penser que c'est moi, un moi bien sûr plus persistant dans le temps que ma personnalité actuelle, comme une entité qui passerait de vie en vie, s'enrichissant successivement de chacune de ces expériences. Bref, l'idée classique qu'on peut se faire de la réincarnation, je crois.
Récemment, j'ai trouvé exprimée sur internet, dans les commentaires à propos d'une vidéo, cette idée :
"Pourrait-on imaginer l'humanité comme un être unique, indivisible, dont nous serions chacun une cellule ; un être qui possèderait un corps émotionnel immortel, lié à celui de la planète, et dans lequel seraient inscrits certains souvenirs importants, des promesses non tenues, des blessures non guéries, des émotions non résolues, des évènements non assimilés ? Les souvenirs de "vies antérieures" n'appartiendraient pas forcément à ceux qui les reçoivent, mais seraient pour eux des occasions de participer à la guérison de l'humanité en la libérant d'un traumatisme, en intégrant celui-ci à la conscience collective ? Celui qui est ici aujourd'hui n'est pas celui dont il perçoit le souvenir, c'était une autre personne, un autre "Je", même s'il existe une résonance vibratoire à travers le temps ; c'est une forme d'empathie. L'humanité est éternelle tant que la planète est vivante et, comme dans nos corps, les cellules neuves prennent la forme et les souvenirs de celles qu'elles remplacent."
L'auteur semble penser que le seul principe persistant au travers du temps serait quelque chose comme un esprit de l'humanité. Cela me semble excessif, mais je peux me tromper, et en tout cas cela indique bien en même temps la difficulté qu'il peut y avoir à concevoir à quel point ce qui s'incarne de vie en vie est très difficilement déductible du seul moi auquel nous ayons accès, de notre seule personnalité de cette vie-ci actuelle.
Peut-être conviendrait-il alors de pousser un peu plus loin l'image, en remarquant qu'une cellule neuve d'un corps ne devient normalement pas cellule de n'importe quel organe, mais a sa place préétablie, le plus souvent très précise, à tenir. Ainsi pourrait se concevoir une certaine continuité, un certain héritage, de vie en vie. Et qui n'empêche pas non plus que ces lignées de cellules s'inscrivent en même temps dans une perspective plus vaste d'un organisme plus complexe, notre humanité terrestre.