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Billet de blog 17 octobre 2014

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Haut et fort

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Billet original : Haut et fort

Sur quoi, la foule se rassemble par myriades jusqu'à se piétiner les uns les autres. Il commence à dire, et d'abord à ses disciples : « Défiez-vous pour vous-mêmes du levain des pharisiens, qui est hypocrisie. Rien de recouvert qui ne sera découvert. Rien de caché qui ne sera connu. 

« Ainsi donc, tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu dans la lumière. Ce que vous aurez prononcé à l'oreille, dans les cellules, sera proclamé sur les terrasses. 

« Je dis à vous, mes amis, ne craignez pas les tueurs du corps : après cela ils n'ont rien de plus à faire… Mais je vais vous suggérer qui craindre : craignez qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne. Oui, je vous dis : celui-là, craignez-le ! 

« Est-ce que cinq moineaux ne se vendent pas deux sous ? Et pas un d'eux n'est oublié devant Dieu ! Mais même les cheveux de votre tête, tous, sont dénombrés ! Ne craignez pas : plus que beaucoup de moineaux, vous êtes précieux ! »

Luc 12, 1-7

L'essentiel de ce texte, à partir de "Rien de recouvert qui ne sera découvert...", se trouve aussi chez Matthieu (10, 26-31), dans un contexte légèrement différent. Chez Matthieu, on est dans le discours d'envoi en mission des douze, qui bascule en fait rapidement sur l'activité missionnaire des premiers chrétiens en butte aux persécutions. "Rien de recouvert qui ne sera découvert" ne peut donc guère, chez Matthieu, être compris autrement que comme un encouragement à témoigner ouvertement de sa foi, sans craindre les conséquences, y compris le martyre, considéré comme préférable au reniement. Il en va un peu différemment ici chez Luc, parce qu'il a voulu créer un enchaînement avec l'épisode précédent, celui des malédictions contre les pharisiens et les scribes. Pour ce faire, il a rapporté ici cet avertissement contre le "levain des pharisiens", qu'on trouve aussi chez Marc (8, 15), ainsi que chez Matthieu (16, 6.11), mais là aussi dans un autre contexte ! Chez Marc et Matthieu, les disciples viennent de s'apercevoir qu'ils ont oublié d'emporter du pain, et Jésus les met alors en garde contre la tentation de compter sur un miracle de sa part pour y palier, de la même manière que les pharisiens venaient, juste auparavant, de lui demander un signe "pour voir". Dans ce contexte, le levain des pharisiens désigne donc plutôt un manque de foi de leur part, et un manque de confiance dans la providence divine de la part des disciples.

Dans le sens de ce manque de confiance, le levain des pharisiens fonctionnerait bien ici avec la suite du texte ! mais ne servirait pas de transition avec les malédictions... Luc a donc explicité que, ce levain, c'était l'hypocrisie. Ça fonctionne bien comme transition avec les malédictions, mais ça ne marche plus trop avec l'encouragement à témoigner ouvertement de sa foi... On ne peut quand même pas assimiler la peur du martyre à l'attitude qui consiste à se raconter qu'on est parfaits alors qu'intérieurement ça n'a rien de bien joli joli. Il y a quelque chose qui cloche un peu dans la construction de l'épisode par Luc, et on se demande alors un peu ce dont il a voulu parler exactement. C'est alors jusqu'à cette phrase "Rien de recouvert qui ne sera découvert" qui peut prendre un sens très différent. S'agissant de l'hypocrisie, c'est une promesse qu'elle finira un jour par être démasquée ! il est difficile de la comprendre autrement dans ce contexte. Mais, si on veut la relier à ce qui suit, elle prend un tout autre sens, d'autant que là encore Luc a un peu modifié le texte tel qu'on le trouve chez Matthieu : "Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière !" Chez Matthieu, Jésus demande aux disciples de clamer haut et fort par toute la terre le message que lui leur a transmis, non pas tout bas, mais seulement à leur petit groupe à eux. Luc a changé, lui parle de la transmission de ce même message dans son contexte à lui, en monde païen, où c'est en premier le bouche à oreille, le rapport de personne à personne, qui a fonctionné, et il promet que cette diffusion lente finira un jour par gagner une majorité...

En résumé, chez Luc comme chez Matthieu, on parle de la proclamation de la foi, mais avec des perspectives très différentes. Matthieu, certainement fidèle en cela à la source Q, parle de cette annonce dans le contexte juif israélien de persécution par les autorités religieuses. C'est un contexte à priori relativement tardif, voire très tardif, quoiqu'on ne puisse pas non plus exclure des épisodes d'hostilité réciproque, ponctuels, localisés plus tôt dans le temps. Mais en tout cas, le texte de Matthieu est clairement un encouragement pour ceux qui se trouvent dans une telle situation, pour qu'ils n'aient pas peur d'y perdre la vie s'il le faut. C'est un discours de combat, offensif. Luc, pour sa part, parle de cette annonce dans son contexte païen, de communautés chrétiennes qui représentent une infime minorité dans l'ensemble de l'empire, et qui pourraient être tentées de se dire : à quoi bon, peut-être que notre foi se trompe, puisque si peu de gens s'y intéressent. Et Luc répond à ces doutes par une affirmation prophétique qu'un jour cette foi finira par gagner tous les cœurs. Luc a ensuite pourtant conservé aussi les deux derniers paragraphes, ainsi que la suite que nous verrons demain, qui ramènent sans trop d'échappatoire possible à une situation d'oppression. C'est que les persécutions, par les autorités de l'empire cette fois, n'étaient pas non plus ignorées de ses communautés. Mais il a donc, quand même, profité du thème pour l'introduire avec des considérations autres, qui lui étaient propres.

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