Cette histoire de tombeaux ou de sépulcres que les spécialistes de la torah bâtissent n'est pas facile à comprendre. On ne voit pas bien en quoi la construction de ces monuments funéraires constituerait une approbation du meurtre des prophètes auxquels ils sont destinés. A priori, cela semble être plutôt une marque de respect que de vouloir offrir une sépulture décente à ces hommes qui furent assassinés et non de les laisser pourrir sur place ou dans une fosse commune...
Mais premièrement il s'agit, plus précisément que de tombeaux ou de sépulcres, de mémoriaux. C'est bien sûr ce que sont tous les monuments funéraires, depuis la simple tombe jusqu'au mausolée du Taj Mahal, mais il y a plusieurs mots grecs pour désigner les monuments funéraires, et celui employé ici, "mnémeion", est construit sur la racine "mnémé" qui signifie "mémoire" (comme dans notre mot français "mnémo-technique"). Et secondement, ces mémoriaux que bâtissent ces spécialistes de la torah, ne sont évidemment pas de vrais bâtiments en pierre ou autre matériau de construction, mais des mots, autrement dit des commentaires, des gloses, tout un tas de remarques et de réflexions qu'ils se font sur les actes et l'histoire de ces prophètes des temps anciens.
Autour de la torah — qui est le texte de base, de référence, du judaïsme, et ultérieurement aussi du christianisme — se sont ainsi ajoutées des couches et des couches de commentaires, et de commentaires sur les commentaires, et de commentaires sur les commentaires des commentaires, etc. à n'en plus finir. Et c'est cela que Jésus (?), Luc (?), condamnent comme étant une manière de tuer et re-tuer encore les prophètes, parce qu'effectivement l'essentiel du prophétisme réside dans un témoignage vivant. Les prophètes agissaient sous la mouvance de l'Esprit, de la Présence, et au-delà des messages concrets qu'ils transmettaient, c'était, bien plus encore, à entrer dans cette même vie dans l'Esprit qu'ils appelaient.
C'est exactement la même chose qu'a faite Jésus de son vivant, lui aussi vivant dans la Présence du Père, et invitant toutes et tous, chacun et chacune, à entrer aussi dans cette même mouvance. Et c'est ce qui s'est passé dans les tout premiers temps du christianisme, particulièrement dans les communautés issues de la prédication de Paul. C'est donc ce que Luc a connu, a vécu lui aussi, ce qui lui a permis de très bien comprendre, de l'intérieur, et en tout cas bien mieux que Matthieu (23, 29-32) dans sa version parallèle, ce dont Jésus parlait dans cette lamentation sur les spécialistes de la torah bâtissant des mémoriaux aux prophètes du temps jadis et des lunes anciennes...
Alors il est certain qu'en agissant ainsi, ces hommes de la torah, non seulement n'accédaient pas à la vraie vie, celle dans l'Esprit, mais de plus, du fait qu'ils étaient censés être les spécialistes de cette torah, référence centrale pour tous le judaïsme, par là-même ils constituaient un obstacle pour tous, comme le sont tous les "fonctionnaires" de Dieu dans quelque tradition religieuse qu'ils sévissent. Et on comprend qu'après une telle charge, remettant en cause fondamentalement leur utilité, ils aient pu en vouloir quelque peu à son auteur !
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« hélas pour vous !
car vous bâtissez les mémoriaux des prophètes
or ce sont vos pères qui les ont tués
ainsi vous êtes des témoins
et vous approuvez les œuvres de vos pères
car eux les ont tués
et vous bâtissez vous
c'est pourquoi la Sagesse de Dieu a aussi dit
je leur enverrai prophètes et envoyés
et ils en tueront et en persécuteront
aussi sera requis de cette génération
le sang de tous les prophètes
répandu depuis la fondation de l'univers
depuis le sang d'Abel
jusqu'au sang de Zacharie
assassiné entre l'autel et le temple
oui je vous dis
que ce sera requis de cette génération
hélas pour vous les hommes de loi !
car vous avez enlevé la clef de la connaissance
vous-mêmes n'êtes pas entrés
et ceux qui entreraient vous les avez empêchés »
et lui étant parti de là
les scribes et les pharisiens se mirent
à lui en vouloir terriblement
et à le faire parler de nombreux sujets
guettant à l'affût de quelque chose de sa bouche
(Luc 11, 47-54)