C'est vrai que le contraste entre le style Jean Baptiste et le style Jésus semble grand. Le premier, en ascète d'une sévérité extrême envers lui-même, sans en exiger autant des foules qui venaient à lui, invitait cependant tout un chacun à se repentir, et pour le dire le plus simplement possible, à faire profil bas et pénitence devant la colère de Dieu envers son peuple. Jésus quant à lui n'hésite pas non plus à être dur, mais essentiellement envers les riches, les puissants, les chefs — tous ceux qui devraient montrer l'exemple et qui font le contraire —, et prêchant par dessus tout la miséricorde de ce même Dieu pour peu qu'on s'en remette à lui, qu'on accepte de lui faire confiance que c'est notre bien seul qu'il veut pour nous.
Jean aura du mal à comprendre cette évolution de Jésus par rapport à ce que lui, le Baptiste, lui avait transmis. Car il est à peu près certain que Jésus avait d'abord été son disciple, avant que l'arrestation de son mentor ne l'ait poussé à se lancer dans sa propre carrière. Vivant dans son entourage, ainsi que ses premiers disciples André, Pierre, Philippe (même Jean l'évangéliste !), il y a jeûné lui aussi..., puis repartant en Galilée avec ces autres Galiléens, il a commencé par prêcher exactement le même message "convertissez-vous ! car proche est le royaume...". Mais ce qui va tout changer, c'est que vont se mettre à se produire les guérisons, et là, c'est autre chose, ce n'est plus seulement que le royaume est proche, c'est qu'il est en train de se manifester concrètement, il commence. Jésus est entré dans le royaume alors que Jean semble en être resté à la porte.
Quand Jean doutera de Jésus, se demandant s'il ne s'était pas trompé en le prenant pour le messie, à cause de son attitude lui semblant trop familière avec les "taxateurs" et les "pécheurs", ce dernier lui répondra en invoquant précisément ces guérisons "les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts sont réveillés" : cela change bien toute la perspective, toutes ces guérisons ne peuvent être que le fait de Dieu, c'est donc lui-même qui atteste par là de ce que Jésus est bien son messie, même si cela peut choquer Jean dans son idée de qui est Dieu, comme une sorte de boutiquier tenant les comptes des bonnes et mauvaises actions pour accorder récompenses ou punitions.
Mais en fait Dieu donne en permanence et à tous sans aucune distinction, il fait tant pleuvoir que briller le soleil sur les méchants comme sur les bons, ce n'est donc pas plus à Jean qu'à Jésus de juger du cœur des uns ni des autres. Dieu ne fait que donner, encore faut-il cependant s'ouvrir à ces dons, vouloir les recevoir, c'est ce à quoi peut éventuellement nous aider l'appel du Baptiste, et d'une manière générale tout exercice dit de piété, à condition très précisément de ne pas les concevoir comme des moyens de nous acquérir des mérites, mais au contraire comme chemin pour sortir de soi-même, pour se désencombrer de ce moi qui empêche l'Autre d'être présent en nous, ou pour mieux dire : de s'y manifester (car il est toujours présent). C'est cela le royaume.
Agrandissement : Illustration 1
à qui donc assimilerai-je les hommes de cette génération ?
à quoi sont-ils semblables ?
ils sont semblables à ces enfants
assis sur une place
et s'interpellant les uns les autres en disant
"nous avons joué de la flûte pour vous
et vous n'avez pas dansé
nous avons chanté des chants funèbres
et vous n'avez pas pleuré"
en effet
Jean le baptiseur est venu
ne mangeant pas de pain ni ne buvant de vin
et vous dites
"il a un démon"
le fils de l'homme est venu
mangeant et buvant
et vous dites
"voici un homme glouton et soiffard
ami des taxateurs et des pécheurs"
or la Sagesse a été justifiée par tous ses enfants
(Luc 7, 31-35)