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Billet de blog 18 octobre 2014

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N'ayez pas peur !

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Billet original : N'ayez pas peur !

«  Je vous dis : qui se déclarera pour moi devant les hommes, le fils de l'homme aussi se déclarera pour lui devant les anges de Dieu. Et qui m'aura nié en face des hommes sera renié en face des anges de Dieu ! 

« Qui dira une parole contre le fils de l'homme, cela lui sera remis. Mais qui aura blasphémé contre le saint Esprit, cela ne sera pas remis. 

« Quand ils vous feront entrer devant les synagogues, les pouvoirs et les autorités, ne vous inquiétez pas : comment ? ou en quoi vous défendre ? ou que dire ? Car l'Esprit saint vous enseignera, à cette heure même, ce que vous devez dire. »

Luc 12, 8-12

Trois sentences autour du thème du témoignage à donner, réunies ainsi par Luc. C'est donc que le thème l'intéressait quand même, mais il ne voulait pas le laisser dans l'état où il l'a trouvé dans la source Q et tel qu'on peut le supposer à travers la version de Matthieu. La première sentence se trouve en effet à peu près telle quelle chez Matthieu au même endroit, mais la deuxième provient d'un autre épisode, et son sens vise à contrebalancer ce qu'il pourrait y avoir d'excessif dans la première, et enfin la troisième, issue elle aussi d'encore un autre épisode, vise à donner confiance en sortant de ce qu'il faut bien caractériser, à propos des deux premières, comme étant une pédagogie du bâton ! Luc n'aime pas cet état d'esprit qui en appelle à la peur du châtiment. Luc est l'évangéliste de l'amour inconditionnel du Père. Qu'on pense par exemple à sa parabole du fils prodigue, avec ce père qui ne fait rien pour s'opposer aux décisions de son fils ingrat.

Ici, déjà pour la première sentence, Luc en a atténué la portée. Chez Matthieu, il est affirmé que Jésus se déclarera pour, ou reniera, devant "son père qui est dans les cieux". Luc a remplacé le Père par les anges, ce qui vaut encore exaltation ou condamnation, mais avec un caractère moins absolu. Luc ne veut pas d'une situation qui pourrait être complètement fermée pour l'éternité, il croit en ce père de la parabole qui, toujours et encore, laisse une chance, qui jamais ne se lasse d'espérer. On peut noter de plus que Luc ne dit pas que c'est le fils de l'homme qui reniera ceux qui l'auront renié. Il utilise une forme passive qui ne dit pas qui serait à l'origine de ce reniement, ils seront reniés, mais on ne sait pas par qui. C'est plutôt une conséquence implicite de leur propre choix, sans intervention d'une autre personne, juge ou autre, ce qui est assez logique : si Dieu ne juge pas, comment Jésus pourrait-il se le permettre ? On n'est pas chez Jean où, au contraire, Dieu a remis explicitement le jugement entre les mains du Fils.

Et Luc prolonge cette réflexion sur le châtiment en rapportant ensuite ici cette deuxième sentence, qui se trouve aussi chez Marc (3, 28-29) et Matthieu (12, 31-32), mais dans un autre contexte, à savoir dans la controverse où Jésus est soupçonné d'accomplir ses guérisons et exorcismes par la puissance de Béelzeboul. Dans ce contexte, c'est le même soupçon au sujet de Jésus qui peut être à la fois pardonnable et impardonnable. Il est pardonnable de parler contre Jésus qui accomplit ces signes, mais il est impardonnable de parler contre ces signes qui sont une manifestation de l'Esprit. C'est un peu la même rhétorique que chez Jean quand Jésus dit à ses adversaires que, s'ils ne croient pas en ses paroles, qu'au moins ils croient en ses œuvres ! Quoi qu'il en soit, ce qui intéresse ici Luc, c'est que cette sentence relativise même encore la sentence précédente sur le sujet de renier Jésus. Sortie de son contexte, elle affirme maintenant, contrairement à la sentence précédente, que de parler contre, renier, Jésus sera pardonné... Il ne reste donc plus que le "blasphème contre l'Esprit" qui soit problématique, mais Luc se garde bien de définir plus précisément ce que peut être ce 'blasphème'. Comme dans la sentence précédente, on ne nous dit pas non plus que quelqu'un serait à l'origine de la condamnation, il n'y a pas de juge ici non plus, c'est une constatation : ceci sera pardonné, cela ne le sera pas. Comme dans la sentence précédente, il s'agit plutôt d'une conséquence intrinsèque de nos choix, nous nous condamnons nous-mêmes, comme le fils prodigue qui avait fait le choix de partir loin du Père. Et tant qu'il veut rester loin, eh bien ! il reste loin. Personne ne viendra le forcer à revenir, c'est lui qui voit.

Et enfin, le côté positif des choses. Au travers de ces deux premières sentences, grâce à ses remaniements dans la première, grâce à son choix d'insérer ensuite la seconde, Luc a bien déculpabilisé le discours de la source Q, sur ce qui pouvait être perçu comme un devoir de témoigner inculqué sous la peur d'un châtiment. Il peut maintenant montrer une des conséquences d'une foi basée plutôt sur la confiance librement consentie : plus de soucis à se faire ! car ce même Esprit auquel nous nous ouvrons nous inspirera aussi, même dans les situations les plus périlleuses. Luc s'engage sans doute un peu loin, en faisant cette affirmation. Il se base certainement sur des faits réels, des cas où, lors de persécutions, par leur seule parole inspirée des chrétiens ont pu échapper aux intentions de leurs bourreaux en les retournant, en les convertissant, ou au moins en insinuant en eux le doute, en les désarmant. Ceci ne signifie pas non plus que tous ceux qui ont été les victimes de ces persécutions n'avaient pas su écouter l'Esprit... Les paroles inspirées par l'Esprit ne garantissent pas d'échapper au martyre. Mais, à défaut, il peut sans doute aussi donner la force de l'accepter.

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