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Billet de blog 19 juin 2014

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Silence, je t'en prie

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Billet original : Silence, je t'en prie

« Quand vous priez, ne bredouillez pas comme les païens : ils croient être exaucés à flots de paroles. Ne leur ressemblez donc pas : votre père sait de quoi vous avez besoin avant que vous lui demandiez. 

« Vous donc, priez ainsi : Notre père dans les cieux, sanctifié soit ton nom ! Vienne ton royaume ! Ta volonté soit faite, comme au ciel, sur terre aussi ! Notre pain de la journée donne-nous aujourd'hui. Remets-nous nos dettes comme nous aussi avons remis à nos débiteurs. Ne nous fais pas entrer dans l'épreuve, mais libère-nous du Mauvais. 

« Car si vous remettez aux hommes leurs fautes, il vous remettra à vous aussi, votre père du ciel. Mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre père non plus ne remettra pas vos fautes. »

Matthieu 6, 7-15

Ce passage figure normalement, chez Matthieu, au milieu de celui que nous avions hier. La liturgie fait bien, à mon avis, de l'en sortir. Le passage d'hier comprenait trois sentences strictement parallèles sur l'aumône, la prière et le jeûne. On comprend facilement en les lisant que ces trois sentences ont été faites pour figurer ainsi, les unes à la suite des autres. Matthieu a voulu rattacher, à la sentence sur la prière, cet enseignement sur le même sujet, plus détaillé, que nous avons aujourd'hui. Ce qui donne un ensemble plus étoffé sur la prière, mais qui rompt le bel équilibre entre les trois sentences, et qui, paradoxalement, dévalorise notre texte du jour, qui mérite pourtant bien d'être examiné seul, tant il est déjà riche en lui-même. Rien de moins que le "Notre Père" ! ce qui n'est quand même pas rien dans la tradition chrétienne...

L'introduction que donne Matthieu à la "prière de Jésus" diffère de celle que donne Luc, mais les deux sont complémentaires, en fait. Luc (11, 1-4), pour sa part, précise que Jésus a enseigné ces paroles aux disciples suite à une demande de leur part, parce que "Jean aussi a enseigné à ses disciples". C'était l'usage, les 'maîtres' composaient des prières pour leurs disciples. Et plus elles étaient longues, plus ils étaient contents : ils avaient l'impression d'en avoir "pour leur argent". Ceux de Jésus n'auraient pas compris que leur maître à eux ne sachent pas faire aussi bien que les autres... Oui, mais, voilà : la prière que pratique Jésus n'est pas du tout de ce genre ! Quand Jésus se retire sur la montagne et y prie toute la nuit, il ne passe pas son temps à débiter des paroles toutes faites. La prière que pratique Jésus est une prière d'écoute et de cœur à cœur, et c'est à cette prière qu'il veut essayer d'initier les disciples. C'est ce que nous rapporte Matthieu aujourd'hui, en introduction : prier ne consiste pas à rabâcher comme si on allait être exaucé au kilomètre ou au volume de ce qu'on aura dit !

Le "Notre Père" est donc une prière volontairement courte, la plus courte possible. Curieusement, sur ce point précis, la version que nous en donne Matthieu, après ce qu'il a expliqué en préambule, est pourtant nettement plus longue que celle de Luc. On considère généralement que la version de Luc, qui ne comprend ni "que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel", ni "mais libère-nous du mal", est plus originelle. La vraie prière enseignée par Jésus était-elle encore plus courte ? il est difficile de le savoir. L'élément sur lequel, personnellement, j'aurais le plus de doutes serait "ne nous laisse pas entrer dans la tentation", parce que ce thème de la tentation me semble typique du discours développé par les chrétiens, et pas vraiment de Jésus lui-même. Mais peu importe, et peu importe aussi que la version de Matthieu soit plus longue, parce que clairement issue de la pratique liturgique des premiers chrétiens. Ce qui est essentiel à comprendre, c'est que cette prière n'était pas destinée initialement à un usage communautaire, mais bien à la prière personnelle. Et que sa brièveté, voulue, avait pour objet d'initier les disciples à la vraie prière, celle qui commence quand le silence s'installe en nous.

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