On trouve très souvent dans les évangiles l'expression "pharisiens hypocrites", au point que le mot pharisien est devenu quasiment un synonyme de cet adjectif : un pharisien est une personne qui se vante, qui cherche à se montrer, sous de beaux jours en apparence, alors qu'intérieurement elle s'en moque, c'est juste pour la galerie qu'elle agit ainsi. Mais est-ce bien cela que signifiaient les évangiles, est-ce bien cela que reprochait Jésus aux pharisiens. Nos traducteurs en français des évangiles ne se cassent pas trop la nénette, le grec étant "upokritès", lequel a effectivement donné "hypocrite" en français... mais le grec avait-il le sens qu'hypocrite a fini par prendre pour nous ?
Pas exactement, en fait : upokritès signifie en premier l'interprète des songes, le devin, le prophète. Ce n'est quand même pas dans ce sens-là qu'il est pris dans les évangiles, mais il est bon de s'en rappeler, et le second sens est celui de comédien, acteur, donc celui qui joue un rôle : on y arrive. Mais par rapport à la notion d'hypocrisie, il reste quand même un écart notable : les personnes qui s'exercent à la charité, la prière, le jeûne, qui suivent d'une manière générale avec plein de bonne volonté les prescriptions d'une religion parce que cela se fait, qu'on leur a appris à le faire, mais sans forcément vraiment comprendre pourquoi le faire, juste parce qu'elles font confiance ; de telles personnes jouent effectivement un rôle, mais on ne va pas quand même les traiter d'hypocrites, au sens qu'a ce mot de nos jours pour nous !
Et même si elles s'y prêtent avec beaucoup de zèle au point de vouloir montrer aux autres à quel point elles sont zélées, ce n'est pas pour autant de l'hypocrisie... Simplement, elles se conforment à des rites et des pratiques sans les comprendre, mais on ne peut pas franchement le leur reprocher, car tout ceci vient essentiellement de ce qu'elles se représentent Dieu comme leur étant avant tout extérieur, et c'est vers cela, vers un renversement complet de perspective, que les trois recommandation de ce texte voudraient les orienter : découvrir avant tout un Dieu présent intérieurement, en elles, "dans le secret". En les incitant à être absolument les seules à savoir qu'elles s'adonnent à ces pratiques, elles vont être amenées à faire la vérité en elles-mêmes.
Soit, alors, elles accèdent effectivement à ce Dieu présent en elles, et désormais ce sera toute leur vie qui sera en quelque sorte à la fois et aumône et prière et jeûne, soit, au moins, cesseront-elles de s'adonner à de tels exercices d'une manière qui ne peut pas les rapprocher de ce Dieu. Il y a bien sûr une troisième option, celle de laisser tomber tout ça, mais il est certain qu'une telle éventualité était inenvisageable à l'époque et dans le contexte, contrairement à notre époque et dans notre société "moderne" : est-ce un progrès ?

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et soyez attentifs à ne pas exercer votre piété
devant les hommes afin d'être vus par eux !
sinon vous n'avez pas de salaire
auprès de votre père dans les cieux
quand donc tu fais l'aumône
ne trompette pas devant toi comme font les mécréants
dans les synagogues et dans les rues
afin d'être glorifiés par les hommes
amen ! je vous dis qu'ils ont touché leur salaire
mais toi en faisant l'aumône
que ta gauche ne sache pas ce que fait ta droite
afin que ton aumône soit dans le secret
et ton père qui voit dans le secret te rendra
et quand vous priez
ne soyez pas comme les mécréants qui aiment être à prier
dans les synagogues et aux croisements des rues
afin d'être vus par les hommes
amen ! je vous dis qu'ils ont touché leur salaire
mais toi quand tu pries
entre dans ton cellier et ayant fermé la porte
prie ton père qui est dans le secret
et ton père qui voit dans le secret te rendra
et quand vous jeûnez
ne prenez pas un air sombre comme les mécréants
en effet ils ravagent leur visage
afin d'apparaître aux hommes comme jeûnant
amen ! je vous dis qu'ils ont touché leur salaire
mais toi en jeûnant
oint ta tête et lave ton visage
afin de ne pas apparaître aux hommes comme jeûnant
mais à ton père qui est dans le secret
et ton père qui voit dans le secret te rendra
(Matthieu 6, 1-6.16-18)